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Les cidres sur marc de raisin sont aussi diversifiés que les peaux des différents cépages qui les accompagnent, du mauve au doré. Le raisin apporte couleur et tanins. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

La cidrerie ontarienne Revel Cider, un pionnier dans le domaine, a connu une forte croissance ces dernières années. Mais l’entreprise pourrait bien ne pas survivre aux prochaines semaines. C’est ce que son fondateur, Tariq Ahmed, a annoncé récemment, disant être à court d'argent. Au Québec, cette nouvelle fait grincer des dents une jeune industrie qui sent déjà l’engouement de la pandémie se tarir.

Quand l’Ontarien Tariq Ahmed a fondé Revel Cider en 2014 à Guelph, il était loin de se douter qu’il inspirerait de nombreuses cidreries, notamment au Québec, à se lancer dans l’aventure du cidre nature et artisanal.

À ses débuts, Revel a provoqué une onde de choc dans le milieu du cidre canadien, qui n’était pas nécessairement reconnu pour son innovation. Chaque semaine ou presque, une nouvelle cuvée était mise en vente sur le site Internet de l’entreprise. 

Ses créations ont repoussé les frontières du cidre et du vin, mélangeant allègrement la pomme et le raisin, mais aussi les plantes aromatiques, les fleurs et les fruits comme les fraises, les pêches, les bleuets et les prunes.

Tariq, c’est un des pionniers en Amérique du Nord.  Il y en a beaucoup qui se sont mis dans sa veine, juge Pauline Macera, cofondatrice de la cidrerie urbaine et montréalaise Sauvageon, dont les produits sont disponibles à la SAQ(Nouvelle fenêtre) et en épicerie fine.

On est partis dans la foulée de Revel, comme tant d’autres l’ont fait, signale aussi de son côté Elizabeth Ryan, cofondatrice des cidres Nordiq, qu’on peut aussi retrouver à la SAQ(Nouvelle fenêtre).

La chute de Revel?

Sauf que les nouvelles ne sont pas bonnes pour Revel. À la fin du mois d’octobre, son fondateur a lancé un appel à sa clientèle : dans un courriel intitulé Comment sauver une entreprise de cidre, M. Ahmed dit qu’il s’est retrouvé à court d’argent et qu’il a dû mettre à pied son personnel.

La raison? Depuis l’année dernière, le prix des boîtes de carton, du verre et de l’aluminium a doublé. On combine ça à la hausse des taux d’intérêt et à une baisse de la demande parce que notre clientèle vit des moments difficiles, explique Tariq Ahmed en entrevue.

Pour tenter de s’en sortir, il a ciblé sa clientèle en gros et en détail. Il a lancé un appel à sa clientèle professionnelle provenant des bars, des épiceries et de l’exportation; plusieurs ont alors passé d’importantes commandes.

De son côté, sa clientèle de plus petit volume a acheté du cidre et du vin sur le site de Revel. Ça nous a donné quelques semaines de répit, environ la moitié de ce qu’il nous faut pour survivre jusqu’au début de l’année prochaine, raconte-t-il.

« Je ne m’attendais pas à ce que la réponse soit si positive. Mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire. »

— Une citation de  Tariq Ahmed

Tariq explique que Revel Cider n’est donc pas sauvée pour l’instant. Et même si l’entreprise survit, les choses devront se faire différemment.

Tariq Ahmed a fait bouger les choses dans l'industrie de l’alcool artisanal au Canada.
Tariq Ahmed a fait bouger les choses dans l'industrie de l’alcool artisanal au Canada. | Photo : Gracieuseté : Revel Cider

Des débuts hyperactifs

Le foisonnement de Revel était à ses débuts une manière de se démarquer, un peu à la manière des microbrasseries, qui sont capables de sortir une douzaine de produits différents par année.

« C’étaient des cidres flyés avec du pissenlit, du vin de fraise, de prunes! »

— Une citation de  Pauline Macera, Cidre Sauvageon

En utilisant aussi les codes du vin nature – une étiquette attrayante et colorée, des bouteilles de verre transparentes et des termes comme nature, fermentation spontanée et macération – Revel a contribué à cimenter les codes qui définissent aujourd’hui ce qu’on appelle le cidre artisanal.

Les cidres de Revel Cider sont faits à base de fermentations de levures indigènes et explorent les saveurs de l'Ontario.
Les cidres de Revel Cider sont faits à base de fermentations de levures indigènes et explorent les saveurs de l'Ontario. | Photo : Gracieuseté : Revel Cider

Durant la pandémie, avec la demande accrue de produits locaux, mais aussi artisanaux et la fulgurante croissance des alcools naturels, hérités du terroir et saisonniers, Revel a été propulsé vers la stratosphère.

Les cuvées se vendaient en quelques jours, et l'entreprise pouvait même se permettre de donner une partie des profits de chaque cuvée à des organismes à but non lucratif luttant contre le racisme, ce qui n’est plus le cas depuis 2022.

On était connus comme étant prolifiques, affirme Tariq Ahmed. Mais dans le futur, ça devra être considérablement réduit. Avec la réouverture des bars, les clients commerciaux demandent de plus grosses quantités d’un seul produit.

« Le marché artificiel de la pandémie s’est un peu dégonflé. Revel a vécu la croissance avec un grand C, investi dans les infrastructures, un salon de dégustation. Mais les coûts ont explosé, sur toute la chaîne d’approvisionnement. »

— Une citation de  Elizabeth Ryan

Prudence au Québec

Du cidre, il s’en fait de plus en plus au Québec : la quantité consommée par personne a doublé, passant de 0,4 litre à… 0,75 litre, soit l’équivalent d’une bouteille par année. Donc, même si la croissance est réelle, elle n’a pas atteint le niveau de la bière ou du vin, signale Elizabeth Ryan, cofondatrice de Nordiq, une entreprise qui fabrique du cidre en collaboration avec des vignobles et des cidreries.

Elizabeth Ryan est cofondatrice d'une entreprise québécoise de cidre.
Elizabeth Ryan est cofondatrice d'une entreprise québécoise de cidre. | Photo : Emmanuelle Roberge

Le cidre doit faire concurrence à ces autres boissons alcoolisées qui sont beaucoup plus présentes dans la culture actuelle.

« Il y a beaucoup d’éducation à faire à propos du cidre, les gens pensent encore que c’est une boisson sucrée. Certains assimilent le cidre à une boisson proche de la bière. Mais son procédé de fabrication est beaucoup plus proche de celui du vin : ça prend entre 6 mois et un an. »

— Une citation de  Pauline Macera

De nombreuses entreprises de cidre ont été fondées après 2020, alors que la demande semblait s’emballer. De 2013 à 2018, 30 permis de fabrication de cidre ont été délivrés par la Régie des alcools et des jeux du Québec (RACJ). Mais dans les cinq années qui ont suivi, soit entre 2019 et 2023, ce sont 63 nouvelles cidreries qui ont vu le jour. Et 24 permis sont en attente de traitement pour l’année prochaine.

En date d’aujourd’hui, il y a un peu plus de 140 permis de fabrication de cidre au Québec, alors qu’il y a au-delà de 300 permis de microbrasserie.

Même s’il y a énormément de petites entreprises qui arrivent, il reste que la consommation en est encore à ses prémices, souligne Pauline Macera. Ça sature les tablettes, les commerçants refusent de plus en plus les nouvelles cidreries qui arrivent. Tu sens qu’il faut innover pour rester sur le marché.

« C’est sûr que les ventes ont reculé. Il faut continuer de rivaliser d’imagination pour survivre. »

— Une citation de  Elizabeth Ryan

De l’avis de Tariq Ahmed, la concurrence entre cidreries n’est pas à l’origine des déboires de son entreprise. Le climat économique, la fermeture de restaurants et de bars – ses gros clients – et l’augmentation des coûts pèsent beaucoup plus dans la balance que l’arrivée d’une nouvelle génération d’artisans et d’artisanes.

Innover pour se démarquer

Elizabeth Ryan suggère que le besoin d’innovation est déjà en train de faire bouger les choses. Traditionnellement, c’est la bouteille de verre de 750 ml qui a été le choix par défaut pour le cidre. Mais de plus en plus, la canette d’aluminium fait son entrée : avec de plus petits formats viennent des prix plus doux.

Le hic, c’est qu’atteindre la rentabilité avec une canette demande de fournir de plus gros volumes, puisque les marges sont beaucoup plus petites.

L’industrie se cherche. Quel est le bon véhicule? demande Mme Ryan. L’avenir va passer par une réflexion sur le contenant. La canette, ce n’est pas un eldorado, parce que le cidre n’est pas une boisson de masse au Québec.

Le cidre artisanal est souvent vendu en bouteille de verre de 750 ml : la pertinence de format est de plus en plus remise en question, alors que la clientèle recherche des prix plus bas
Le cidre artisanal est souvent vendu en bouteille de verre de 750 ml : la pertinence de format est de plus en plus remise en question, alors que la clientèle recherche des prix plus bas | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Il y a encore de belles opportunités à saisir grâce à un assortiment varié et abordable et des produits de qualité, affirme Linda Bouchard, porte-parole pour la SAQ. On suit aussi les tendances et l’intérêt croissant pour le nature et leno-low (sans ou avec peu d’alcool), et ces cidres cadrent parfaitement avec ces particularités que nos clients recherchent.

Quels que soient le contenant et le modèle qui survivront, Elizabeth Ryan croit que le cidre a sa place dans le marché et auprès de la clientèle, surtout au Québec. La pomme, c’est le fruit qui pousse bien ici, qui correspond bien à notre ADN climatique, dit-elle. Ce n’est pas juste notre entreprise qui doit gagner, il faut qu’on gagne tous ensemble.

Les cidres sur marc de raisin sont aussi diversifiés que les peaux des différents cépages qui les accompagnent, du mauve au doré. Le raisin apporte couleur et tanins. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne