Vous naviguez sur le site Mordu

La relève en restauration n'a pas froid aux yeux, même si elle est bien consciente des défis qui attendent le secteur. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

La relève dans les restos s’en vient. On a voulu savoir comment cette nouvelle génération envisage l’avenir de la cuisine professionnelle, au-delà des grands titres qui annoncent les déboires du milieu. Dans le contexte actuel, qu’est-ce qui motive les jeunes à vouloir exercer ces métiers?

Je me sens parfois dérobée de mon rêve, souffle Sarah Choquet, étudiante au programme Cuisine et gastronomie, à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ).

Mais ce n’est pas la situation économique difficile actuelle qui la fait douter de son avenir en restauration. C’est surtout par rapport aux changements climatiques, dit-elle. Je suis quelqu’un qui fait pas mal d’écoanxiété; j’ai ce stress-là de plus que les chefs qui ont commencé il y a 30-40 ans.

Vers un virage écolo

Elle cherche donc des solutions. Est-ce qu’il y a une façon de faire de la restauration plus durable? Oui : on peut réduire le gaspillage en cuisine, retirer le plastique à usage unique, utiliser moins de viande, énumère-t-elle. Tu sais que si tu utilises une quantité astronomique de beurre dans une sauce, c’est une plus grosse empreinte carbone.

Elle sait bien que ce n’est pas une tâche facile de convaincre toute une industrie de se tourner vers des pratiques plus durables. Quand on nous demande de créer une assiette végétarienne, c’est un défi. Ce n’est pas facile pour le client non plus : quand il y a juste "betterave" sur le menu, c’est déroutant.

« J’espère que ma génération va savoir s’adapter. »

— Une citation de  Sarah Choquet, étudiante en cuisine

Ses propos trouvent écho dans ceux de ses collègues, des vingtenaires bien au fait des défis qui les attendent. Mathieu Laplante étudie en cuisine supérieure à l’ITHQ. Cette année, il s’est rendu à Londres pour faire un stage au restaurant Silo, à ses frais.

Silo est souvent cité en exemple quand il s’agit de réduction du gaspillage alimentaire et des déchets dans un contexte gastronomique. Ça m’a montré des possibilités en cuisine. Ils font des choses uniques tout en étant respectueux du produit. On peut aller encore plus loin, se réjouit Mathieu.

Si je deviens chef, ça vient avec une responsabilité sociale et environnementale. Tu dépenses de l’argent, tu fais des choix tous les jours, souligne-t-il.

« La cuisine, pour moi, c’est une manière de mettre en action mes valeurs. »

— Une citation de  Mathieu Laplante, étudiant en cuisine

Maude Lemay-Tremblay abonde dans le même sens. Cette étudiante en gestion de la restauration voit même une occasion d’affaires dans une cuisine plus durable.

Il y a un grand intérêt pour le bio, pour la cuisine de la ferme à la table. Je pense que c’est un choix qu’on a à faire, soutient-elle. Dépendant des moments, ce n’est pas vrai que c’est plus cher d’acheter local!

Pas le choix, le milieu de la restauration devra changer

La restauration a régulièrement fait la manchette ces trois dernières années : mesures sanitaires, réservations non honorées, question du partage des pourboires, inflation, pénurie de main-d’œuvre, faillites, conditions de travail difficiles… Ce secteur fait face à de nombreux défis. Et la relève en est bien consciente.

Mathieu Laplante, qui a cumulé 10 ans d’expérience en restauration avant d’arriver à l’ITHQ, est prêt à accepter certaines choses du monde de la gastronomie. Les heures, les conditions de travail, ça reste difficile, demandant. C’est un sacrifice personnel, juge-t-il. Revenir le soir, être épuisé, c’est la norme.

Le milieu traîne une réputation : tu vas te faire crier dessus, tu n’auras pas de vie… signale Maude Lemay-Tremblay.

Mais loin de se laisser décourager, la prochaine génération pense pouvoir changer les pratiques. Le manque de main-d’œuvre, ça nous force à réfléchir. Quand t’as des employés qui partent, qui vont dans un autre restaurant, il faut peut-être que tu te remettes en question, affirme-t-elle. On a l’opportunité de changer ça : comment je pourrais faire en sorte que mon employé se sente comme une personne.

« Le contexte économique, ça nous force à réfléchir, et c’est une bonne chose. »

— Une citation de  Maude Lemay-Tremblay

De l’avis de Sarah Choquet, le milieu de la restauration est en train d’évoluer de lui-même. Je perçois un changement côté valorisation des employés en cuisine, dit-elle.

Pour Mathieu aussi, la restauration profite depuis peu d’une nouvelle place dans la culture. Il y a 20 ans, la restauration, ce n’était pas une profession mise de l’avant, explique-t-il. Aujourd’hui, il y a plein de shows sur Netflix, à la télé; ces cuisiniers-là, c’est des superstars. Je dis aux gens que je suis cuisinier, les gens font "ah ouais! Cool!" C’est rendu glamour.

Malgré tout, le milieu reste attirant

Finalement, la restauration, pour cette génération comme pour celles qui l’ont précédée, demeure un milieu attirant. J’aime le côté créatif, le dépassement de soi, cite Mathieu.

Pour Sarah, ce sont les relations avec ses collègues du milieu qui lui donnent envie d’y rester. La restauration, ce n’est pas comme un travail de bureau, dit-elle. Cette camaraderie, ce n’est pas quelque chose que j’ai connu ailleurs dans ma vie, tu peux tout le temps être là pour quelqu’un, quelqu’un peut être là pour toi.

De l’avis de Maude, la restauration gagnera à se professionnaliser et à faire plus attention à son modèle d’affaires. Moi, je suis bonne en comptabilité et je ne serais jamais capable d’être chef. Un resto c’est une équipe! lance-t-elle. On travaille ensemble pour arriver au meilleur.

La relève en restauration n'a pas froid aux yeux, même si elle est bien consciente des défis qui attendent le secteur. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne