Vous naviguez sur le site Mordu

Le pawpaw se mange cru ou cuit et sa chair a un goût de fruits tropicaux. - Radio-Canada / Alexis Boulianne

Pawpaw : la « mangue du Nord » qui pousse au Québec

par Alexis Boulianne et Marie-Claude Montambault

Publié le 23 novembre 2023
 - 
Temps de lecture: 8 min.

Un fruit au goût de banane, de mangue et même de crème brûlée pousse ici au Québec. Il s’agit de l’asimine, mais on l’appelle plus communément pawpaw. Ce fruit indigène de l’Amérique du Nord connaît depuis peu un fort engouement grâce à une communauté grandissante d’irréductibles.

Le pawpaw a la forme et l’aspect d’une mangue. Il pousse depuis des millénaires dans les forêts de l’est des États-Unis et en Ontario, à la vue de tout le monde, mais il a sombré dans l’oubli de nos habitudes alimentaires au début du 20e siècle.

Son arrivée au Québec ne remonte vraisemblablement qu’à quelques décennies, tout au plus, et est due à une poignée d’adeptes.

« Ç’a été le coup de foudre »

Zacharie Roy, 21 ans, s’est intéressé au pawpaw parce qu’il se passionne pour les fruits exotiques et rares.

« Quand je suis allé au Costa Rica il y a quelques années, je me suis découvert un intérêt pour les fruits spéciaux. Après, j’ai fait des voyages en Asie spécialement pour y découvrir des fruits originaux. »

— Une citation de  Zacharie Roy

En revenant au Québec, Zacharie se donne la mission de découvrir les fruits méconnus d’ici. C’est là qu’il fait la rencontre du pawpaw. Ç’a été le coup de foudre! s’exclame-t-il.

Et depuis, il veut faire goûter le fruit au plus de gens possible. Pour cela, il organise des voyages de cueillette de pawpaws dans le nord-est des États-Unis. Cette année, il a fait six allers-retours dans son camion réfrigéré pour ramener plus de 6000 fruits.

Zacharie Roy organise des voyages aux États-Unis pour ramener des pawpaws et en faire la vente au Québec.
Zacharie Roy organise des voyages aux États-Unis pour ramener des pawpaws et en faire la vente au Québec. | Photo : Gracieuseté : Zacharie Roy

Il en a profité pour visiter des événements consacrés au précieux fruit, comme le festival du pawpaw à Albany, en Ohio, qui en était à sa vingt-cinquième édition cette année et qui a attiré plus de 10 000 personnes.

C’est vraiment dans le nord-est des États-Unis que c’est plus connu et qu’il y en a plus, mentionne-t-il. Soit je vais chercher des pawpaws chez des cultivateurs, soit je fais de la cueillette sauvage. Ça, c’est vraiment le fun.

Avec l’aide de pépiniéristes comme Olivier Ross du Verger Pépinière Bord-du-Lac, à L’Île-Bizard, il organise ensuite des dégustations gratuites(Nouvelle fenêtre), et les gens qui le veulent peuvent acheter des fruits ou même des plants afin de faire pousser la mangue du Nord chez eux.

Comme Zachary et Olivier, Vincent Renaud souhaite transmettre à grande échelle la passion du pawpaw. Ce père de famille est en voie de planter une centaine d’arbres sur sa terre pour en récolter. Je suis tombé amoureux de ce fruit-là, dit-il en regardant ses petits arbres, d’à peine un mètre de haut, onduler dans le vent.

Vincent Renaud est un passionné d'arbres, mais son intérêt pour l'asiminier trilobé ne remonte qu'à quelques années. Il a créé une communauté d'adeptes du pawpaw sur les réseaux sociaux et veut cultiver une centaine d'asiminiers sur sa terre, à Farnham.
Vincent Renaud est un passionné d'arbres, mais son intérêt pour l'asiminier trilobé ne remonte qu'à quelques années. Il a créé une communauté d'adeptes du pawpaw sur les réseaux sociaux et veut cultiver une centaine d'asiminiers sur sa terre, à Farnham. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Son but : acclimater les plants de pawpaws au Québec, qui est situé encore plus au nord. Le prochain défi, ce n’est pas juste de faire survivre les arbres, c’est aussi d’avoir des fruits qui vont mûrir, juge-t-il.

C’est une des raisons qui l’a poussé à créer un groupe Facebook réservé au partage de connaissances sur le pawpaw ainsi qu’à l’échange de semences et de petits plants.

« Plus on en plante, plus on va en découvrir qui vont être mieux adaptés à la culture au Québec. Mon but premier, en plus de manger des fruits délicieux à l’infini, c’est de pouvoir en trouver un qui va être un champion. »

— Une citation de  Vincent Renaud, horticulteur amateur

Grâce à des plateformes comme celle de son groupe Facebook, l’intérêt pour le pawpaw a explosé au Québec. Jusqu’à il y a deux ans, c’était une poignée de personnes qui connaissaient son existence, affirme Vincent. Maintenant, c’est plusieurs milliers qui peuvent en demander à leur pépinière, en planter chez eux. Ça va grossir de plus en plus.

Le pawpaw doit être cueilli à un état de mûrissement presque complet, sinon il est amer, mais pas trop mûr, car il peut s'abîmer facilement. - Radio-Canada / Alexis Boulianne

Un fruit délicieux, mais capricieux

Par une belle journée du mois de mai, dans la cour arrière de sa maison, en plein cœur de Montréal, Julien Ghannoum prend un minuscule pinceau attaché au bout d’un bâton et l’approche d’une fleur d’un bourgogne profond, presque brun. Il brosse délicatement son pistil et dépose le précieux pollen dans un pot.

Les recherches ont montré qu’à l’état sauvage, le pawpaw a un taux de fructification de 1 à 2 %, maximum. Je vais donc récolter le pollen d’une fleur mâle et le porter sur une fleur femelle d’un autre arbre – ça prend deux cultivars différents pour les polliniser, explique-t-il.

Il y a une quinzaine d’années, Julien a eu la piqûre pour un arbre dont il n’avait jamais entendu parler : le pawpaw. Depuis, il expérimente dans son petit laboratoire (sa cour arrière) la culture de l’asiminier trilobé.

D’ailleurs, les arbres de Julien ont fourni en graines et en petits plants des dizaines de personnes, qui ont à leur tour planté des pawpaws chez elles ces dernières années.

Julien Ghannoum doit polliniser chaque fleur manuellement afin d'accroître la productivité de ses asiminiers. Une fleur contient à la fois les organes mâle et femelle, mais ceux-ci ne se développent pas en même temps. Du pollen d'une fleur mâle doit donc être déposé sur une fleur femelle d'un cultivar différent afin d'avoir plus de chances de faire un fruit.
Julien Ghannoum doit polliniser chaque fleur manuellement afin d'accroître la productivité de ses asiminiers. Une fleur contient à la fois les organes mâle et femelle, mais ceux-ci ne se développent pas en même temps. Du pollen d'une fleur mâle doit donc être déposé sur une fleur femelle d'un cultivar différent afin d'avoir plus de chances de faire un fruit. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Nous retrouvons Julien Ghannoum en octobre, six mois après sa patiente pollinisation manuelle. Désapointé, Julien nous annonce qu’il a perdu plusieurs fruits à cause du vent. Il pointe aussi le sol, où se trouve un fruit à peine mangé, portant sur sa chair la trace des petites dents d’un raton laveur visiblement déçu par son expérience gustative.

Malgré tout, Julien est affairé à remplir des caisses avec de beaux fruits dodus, d’un vert teinté de jaune et maculé de brun. De la boîte émane une odeur capiteuse de fruits tropicaux, tellement forte qu’elle donne le vertige.

Sa récolte se chiffre en dizaines de kilos, bon an mal an. Pour la conserver, Julien doit se mettre à l’ouvrage : la chair des fruits mûrs est réduite en purée et congelée.

Il pourra alors l’utiliser plus tard cet hiver dans des recettes de pain aux pawpaws (pensez à du pain aux bananes) ou de crème glacée. Cette dernière est un véritable délice, en passant, et la recette est disponible sur Mordu!

Le fruit se mange évidemment frais, mais sa pulpe peut aussi être congelée dans des sacs en plastique ou des pots en verre pour être utilisée plus tard.
Le fruit se mange évidemment frais, mais sa pulpe peut aussi être congelée dans des sacs en plastique ou des pots en verre pour être utilisée plus tard. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Comment cultiver le pawpaw


On peut faire pousser un asiminier trilobé à partir d’une graine, comme l’explique Julien Gannoum. Choisir un cultivar greffé d’un arbre en production, déjà établi et ayant fait ses preuves au Québec, accélère le moment de la récolte de plusieurs années, selon lui. Pour récolter une plus grande quantité de pawpaws, il faut planter au moins deux arbres de deux cultivars différents et les polliniser à la main. Le pawpaw peut pousser à l’ombre, mais il produit davantage lorsqu’il est exposé au soleil et protégé du vent. Au Québec, les zones appropriées sont au sud (dont Montréal, la Montérégie, l’Outaouais) et dans la vallée du Saint-Laurent. Mais les pawpaws peuvent pousser en zone 4 lorsqu’ils sont protégés en hiver.

Pourquoi le pawpaw a-t-il été oublié?

Son histoire est longue et fascinante : des asiminiers trilobés – le nom de l’arbre à pawpaws – ont nourri les mammifères géants du continent, dont des paresseux de plus de deux mètres de haut et des mammouths, aujourd’hui disparus.

Les premiers peuples ont mangé ses fruits et l’ont disséminé; il a nourri autant des explorateurs que des présidents américains, de George Washington à Thomas Jefferson. Ce dernier en a même planté dans son domaine.

D'après le département américain de l'Agriculture, l'aire de répartition du pawpaw s'étend du sud-est des États-Unis jusqu'à la région méridionale de l'Ontario, mais cette répartition naturelle pourrait avoir été plus vaste autrefois.
D'après le département américain de l'Agriculture, l'aire de répartition du pawpaw s'étend du sud-est des États-Unis jusqu'à la région méridionale de l'Ontario, mais cette répartition naturelle pourrait avoir été plus vaste autrefois. | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

Le pawpaw pousse naturellement en Ontario, mais bien peu de gens ici ont entendu parler de ce fruit délicieux. La disparition du pawpaw de notre culture culinaire s’explique entre autres par l’arrivée d’un compétiteur d’outre-mer : la banane.

À partir des années 1880, la banane commence à faire son apparition dans le menu américain. Mais, à l’époque, il s’agit d’un fruit rare, exotique… et très cher.

Seuls les riches pouvaient se la payer, indique Julien Ghannoum. D’ailleurs, on appelle le pawpaw "la banane des pauvres" parce que c’était un fruit très utile pour les gens qui n’avaient pas beaucoup d’argent.

Le pawpaw pousse en grappe, et les branches plient sous le poids de ces fruits imposants. - Radio-Canada / Alexis Boulianne

Opération séduction

Trouvera-t-on un jour ce fruit local sur les tablettes de nos épiceries? Les avis de ces amoureux du pawpaw sont partagés. Pour l’instant, il est très rare d’y avoir accès, sauf dans les événements comme ceux que Zacharie Roy organise.

C’est fragile; ça se transporte très mal, explique Julien Ghannoum. Il faut aussi pouvoir convaincre les gens de s’intéresser à un fruit qui, esthétiquement, n’a pas beaucoup de qualités. C’est un fruit qui est vert, mais qui devient tacheté de brun, de jaune, et qui nous donne l’impression de manger un aliment pourri

Malgré tout, Olivier Ross est optimiste. Il se conserve quand même de deux à trois jours à température ambiante, ou environ une semaine s’il est réfrigéré, dit-il. Je suis convaincu qu’il pourrait se retrouver dans nos épiceries éventuellement.

Oui, nos passionnés persistent et signent : l’avenir du pawpaw est radieux. Il y a de la place dans la gastronomie québécoise pour ce fruit sous-exploité, affirme Julien. Avec les efforts des maraîchers, je pense qu’on va le démocratiser.

Le pawpaw est aussi le sujet de reportages des émissions La semaine verte(Nouvelle fenêtre) et L'épicerie(Nouvelle fenêtre).