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Des quatre espèces de phoques qu’on trouve ici, seulement deux font l’objet de la chasse : le phoque du Groenland et le phoque gris. | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

Il y a de plus en plus d'intérêt dans la gastronomie québécoise pour la viande de phoque, un animal dont la population explose et dont la consommation serait bénéfique pour l’écosystème du Saint-Laurent. Mais même si des gens sont prêts à en manger, il n’est toujours pas rentable d’aller le chasser.

La chasse au phoque fait régulièrement les manchettes depuis les grandes campagnes d’opposition au commerce des peaux de phoque dans les années 1970, portées par la vedette française Brigitte Bardot(Nouvelle fenêtre). Quand on pense à la chasse au phoque, impossible de ne pas penser à cette opération industrielle où l’on tuait de jeunes phoques par centaines de milliers en laissant les carcasses sur la banquise.

La chasse aux très jeunes phoques, les blanchons, avait choqué de nombreuses personnes à l'époque. Elle est interdite depuis 1987.

Aujourd’hui, la réalité est tout autre. En réaction aux boycottages internationaux, on chasse le phoque pour sa viande, et on tente de développer des marchés pour son gras et ses entrailles.

Développer le marché de la viande de phoque gris

Dans un effort pour diversifier les sources de revenus des populations comme celles des Îles-de-la-Madeleine, de la Gaspésie et de la Côte-Nord, une poignée de leaders ont lancé une campagne pour faire connaître et développer le marché de la viande de phoque gris.

Depuis quelques années, grâce au travail de chefs comme Kim Côté, du restaurant Côté Est, à Kamouraska, le mot s’est passé. La viande de phoque suscite curiosité et enthousiasme. Par contre, aucune étude ne permet encore de chiffrer l'engouement ou l'acceptabilité sociale de la chasse au phoque.

« Il y a plus de demande pour la viande de phoque que ce qu’on est capable de fournir »

— Une citation de  Gil Thériault, directeur de l'Association des chasseurs de phoques intra-Québec

Plus semblable aux gros gibiers, le phoque gris est moins goûteux que le phoque du Groenland(Nouvelle fenêtre), réputé pour sa forte saveur ferreuse. Il se prépare en tataki (légèrement saisi de chaque côté et presque cru à l’intérieur), en saucisson, en viande fumée, ou encore en braisé. La longe de phoque, très tendre, est une pièce particulièrement prisée des chefs.

Sandra Gauthier, directrice du musée Exploramer, à Sainte-Anne-des-Monts, et spécialiste des produits de la mer, ne tarit pas d’éloges pour la chasse au phoque. Cette activité répond à tous les critères du développement durable : elle a des conséquences positives aux niveaux économique, écologique et social, soutient-elle.

La directrice d’Exploramer et fondatrice de la certification Fourchette bleue, Sandra Gauthier
La directrice d’Exploramer et fondatrice de la certification Fourchette bleue, Sandra Gauthier | Photo : Radio-Canada / Cécile Gladel

Pourquoi devrait-on chasser le phoque au Québec?

Parce qu’il y en a beaucoup. Peut-être même trop. Et que ce sont de voraces prédateurs de nombreuses espèces de poissons.

Chacun de ces animaux peut manger jusqu’à deux tonnes de poissons par an. L’organisme Mange ton Saint-Laurent avance(Nouvelle fenêtre) que, chaque année, la quantité de poissons mangés par les phoques équivaut à presque 20 fois ce qui est prélevé par l’ensemble des pêcheurs commerciaux.

Le phoque n’a aucun autre prédateur que l’homme, affirme Gil Thériault, directeur de l'Association des chasseurs de phoques intra-Québec. Les activistes parlent de l’homme comme s'il était à l’extérieur de l’écosystème, mais l’humain en fait partie intégrante. Enlever le prédateur au sommet de la chaîne alimentaire, ça cause des effets jusqu’en bas.

Gil Thériault fait valoir que le moratoire sur la pêche à la morue(Nouvelle fenêtre) n’a pas permis de faire remonter les stocks de ce poisson autrefois extrêmement abondant dans le Saint-Laurent.

« Certains scientifiques disent que tant qu'il n'y aura pas de contrôle de la prédation du phoque gris, il n’y aura pas de retour de la morue, et de bien d’autres espèces. »

— Une citation de  Gil Thériault

La pêche en péril... à cause du phoque

Depuis le printemps dernier, des restrictions empêchent de pêcher des poissons comme le hareng et le maquereau(Nouvelle fenêtre) qu’on utilise pour appâter les casiers à homard, dans une préparation appelée bouette.

Les communautés côtières qui vivent de la pêche depuis des siècles voient aujourd’hui leur subsistance en péril, entre autres à cause des phoques. On a une espèce envahissante - le phoque - qui n’est pas utilisée, pas très bien chassée. Cette espèce s’attaque à nos espèces commerciales, fait valoir Sandra Gauthier, d’Exploramer.

« Il y a des gens qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Ce sont des gens qui ont toujours vécu de la pêche, et maintenant on arrache ces personnes à la pêche. »

— Une citation de  Sandra Gauthier

Mais il y a un problème : il est difficile de rentabiliser une excursion de chasse au phoque gris. La viande serait simplement trop chère si les boucheries comme celle où travaille Réjean Vigneault, la boucherie Côte à côte aux Îles-de-la-Madeleine, devaient payer le plein prix pour une carcasse de phoque qu'elles n’utilisent que partiellement.

Une solution bloquée

En l’absence de hareng, les chasseurs et les chasseuses de phoque ont proposé d’utiliser les viscères de phoque, une partie de l’animal qu’on n’utilise pas actuellement.

Cela ferait d’une pierre, deux coups : les personnes qui chassent le phoque auraient des débouchés commerciaux pour toutes les parties de l’animal, alors qu’actuellement elles ne font des profits que sur la viande et le gras, et la chasse aiderait aussi à réduire la pression qu’exercent les phoques sur les poissons du golfe.

Mais les pêcheurs et les pêcheuses de homard ont essuyé un refus des autorités. Pourquoi? Une loi américaine, la Marine Mammal Protection Act, empêche l’importation de produits qui viennent de mammifères marins, aussi abondants soient-ils. Les États-Unis refusent d’acheter nos homards s’ils ont été appâtés avec des entrailles de phoque, se désole Mme Gauthier.

Dans la websérie Le phoque, de la mer au menu, on plonge dans l'univers de ceux et celles qui chassent le phoque et des chefs qui rêvent de le (re)mettre au menu aux côtés des autres trésors du fleuve. Un documentaire sur le même sujet, Du phoque au menu(Nouvelle fenêtre), est également disponible sur Tou.tv.

De nombreux marchés sont fermés aux peaux de phoque; il est interdit d’appâter les casiers de homard et de crabe avec les parties inutilisées du phoque; et la viande ne peut pas se vendre à des prix exorbitants si on veut assurer son succès. Puisqu’on n’utilise qu’une partie du phoque, les prix payés aux chasseurs et aux chasseuses, même pour un gros phoque gris, sont dérisoires.

On est empêchés économiquement de rendre ça viable, fustige Gil Thériault.

Gil Thériault, directeur de l'Association des chasseurs de phoques intra-Québec
Gil Thériault, directeur de l'Association des chasseurs de phoques intra-Québec | Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose

Une chasse au phoque plus organisée aurait pourtant des débouchés positifs sur de nombreuses communautés. Certaines usines, sur la Côte-Nord ou en Gaspésie, pourraient faire la surtransformation de la viande, pour ajouter de la valeur au produit et créer de bons emplois en région éloignée.

Des pourvoiries pourraient aussi voir le jour dans ces régions : des chasseurs et des chasseuses de partout viendraient tenter leur chance à bord d’un petit bateau sur les eaux grises du golfe, suggère Sandra Gauthier.

Mais pour l’instant, la chasse au phoque gris est confinée à une activité de petite envergure. Personne ne gagne sa vie en ne chassant que du phoque. De l’opinion des leaders du mouvement pour une chasse bien encadrée, c’est un potentiel gaspillé.

Bien sûr, il existe de petits commerces où il est parfois possible de trouver de la viande de phoque gris. Mais sa disponibilité pourrait être nettement plus grande, si la chasse était mieux soutenue, plaide M. Thériault.

On dit qu’il faudrait diminuer notre consommation de viande rouge. Mais on pourrait manger plus de viande sauvage, lance Gil Thériault. C’est un produit local, sans hormones, sauvage, qui n’utilise pas d’eau dans sa production!

Des quatre espèces de phoques qu’on trouve ici, seulement deux font l’objet de la chasse : le phoque du Groenland et le phoque gris. | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier