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À quand une révolution du lunch dans les écoles? | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

Le Canada n’offre pas (encore) de repas à tous les enfants du primaire. Pourtant, une telle mesure aurait des conséquences positives pour l’ensemble de la société, selon des organismes. À quand une révolution du lunch dans les écoles?

Le 21 juin, dernier jour de cours pour les écoles primaires. Dans le quartier Hochelaga, à Montréal, la cuisine du Chic Resto Pop bourdonne. Cette frénésie a pour but de nourrir 200 enfants dans les deux écoles primaires les plus proches, à quelques coins de rue.

Depuis trois ans, les élèves de l’École Baril et de l’École Saint-Nom-de-Jésus mangent les petits plats du Chic Resto Pop grâce au programme de l’organisme La Cantine pour tous.

Le principe est simple : les parents paient les repas à l’avance selon un système de prix volontaire, allant de 1 $ à 6 $. L’argent est donné à un traiteur, en l’occurrence le Chic Resto Pop, pour qu’il cuisine pour les jeunes élèves.

Il y a trois ans, La Cantine pour tous, un organisme à but non lucratif(Nouvelle fenêtre) qui lutte contre l’insécurité alimentaire, desservait seulement trois écoles. À la rentrée 2023, plus de 100 écoles primaires profiteront des services de l’organisme. Et d’autres sont en attente d’intégrer le programme.

Les petits plats préparés par le Chic resto pop servent aux élèves des écoles primaires, mais aussi à l'organisme lui-même, qui en tire une source de financement.
Les petits plats préparés par le Chic resto pop servent aux élèves des écoles primaires, mais aussi à l'organisme lui-même, qui en tire une source de financement. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Pourquoi une telle hausse de la demande? C’est qu’il n’y a tout simplement pas de cuisine dans la plupart des écoles primaires du Canada. Conséquence : les parents ont la responsabilité de fournir les lunchs à leurs enfants.

Mais en ces temps d’inflation (Nouvelle fenêtre)galopante et d’explosion des demandes auprès des organismes d’aide alimentaire(Nouvelle fenêtre), un enfant sur cinq souffre de la faim au Canada(Nouvelle fenêtre).

Que fait le gouvernement fédéral pour régler le problème? En 2019, Justin Trudeau(Nouvelle fenêtre) s’est engagé à créer une politique pancanadienne en matière d’alimentation. Depuis, son gouvernement a mené des consultations; on attend les résultats sous peu.

Combien d’argent sera investi dans ce programme d’aide alimentaire? Quand? Et comment sera-t-il administré? Ce n’est pas encore clair.

« Nous reconnaissons l’importance pour les enfants et les jeunes d’être nourris adéquatement avant, pendant et après l’école. C’est ce qui peut assurer leur succès. C’est pourquoi nous allons de l’avant avec cette politique. »

— Une citation de  La ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jenna Sudds

Pour l’année scolaire 2023-2024, le ministère de l’Éducation du Québec, lui, investit 40,3 millions de dollars dans l’aide alimentaire aux écoles, et 13,6 millions dans des partenariats comme celui conclu avec La Cantine pour tous. Pour l’année en cours, par exemple, cet organisme a reçu un financement de 3,6 millions de dollars.

Offrir un repas gratuit par jour à tous les élèves du réseau scolaire public québécois coûterait 1,7 milliard de dollars par année à Québec, selon une nouvelle étude(Nouvelle fenêtre) de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques.

Malgré tout, le Canada fait figure d’enfant pauvre. C’est le seul pays riche de la planète à ne pas avoir de programme national d’alimentation dans les écoles. En 2017, l'UNICEF l’a classé au 37e rang sur 41 pays développés pour l'accès des enfants à des aliments nutritifs(Nouvelle fenêtre).

Des bienfaits pour les enfants

Pourtant, l’expérience des autres pays où l’on fournit des lunchs nutritifs à l’école montre que cela a des conséquences positives sur le bien-être mental des enfants, sur leur capacité à se concentrer et sur leur santé, même jusqu’à l’âge adulte.

Selon une analyse du Programme alimentaire mondial menée auprès de 10 pays ayant une politique nationale d’alimentation scolaire, chaque dollar investi dans les lunchs scolaires rapporte entre 3 et 10 $US à la société(Nouvelle fenêtre) en améliorant la santé publique et l’éducation.

D’autres pays (et pas que des pays industrialisés) ont des programmes d’alimentation scolaire qui pourraient inspirer le Canada dans l’élaboration de sa politique nationale. Lisez comment le Brésil, la Finlande et le Botswana nourrissent leurs enfants d’âge primaire.

La Global Child Nutrition Foundation (GCNF), dans un rapport publié en 2021, souligne que les contributions gouvernementales s'élevaient en 2019 à 0,48 $ par élève par jour d'école au Canada. Cet argent sert aux différents organismes et aux nombreux programmes qui offrent des petits-déjeuners, des collations et des repas à une partie des enfants d’âge scolaire. Par comparaison, la Finlande, elle, investit 4,25 $ par élève par jour d’école.

Cela dit, la Colombie-Britannique a avancé cette année un montant historique de 214 millions de dollars sur trois ans(Nouvelle fenêtre) pour ses programmes d’alimentation scolaire.

Cet investissement est bien accueilli par Hafsa Salihue, analyste et chercheuse de la Colombie-Britannique qui s’est penchée sur la question de l’alimentation scolaire au Canada. Elle souligne qu’une politique centrale initiée par le gouvernement fédéral lancerait la machine, qui est prête à démarrer partout au pays et à imiter les actions de la province de l’Ouest.

Le mouvement a fait beaucoup de progrès. Ce dont on a besoin maintenant, c’est de la volonté politique, signale-t-elle.

Pour la Coalition pour une saine alimentation scolaire, qui rassemble des organismes de partout au pays, la politique fédérale permettrait aux provinces et aux territoires d’harmoniser leurs efforts.

Si on avait un programme d’alimentation universelle au Canada, « tous les enfants qui vont à l’école auraient accès à un repas, [peu importe le niveau de revenu des parents], explique la représentante de la section québécoise de la Coalition, Danie Martin. Est-ce qu’universel veut dire gratuit? Pas nécessairement, mais ce serait à peu de frais ou sans frais. »

« En ce moment, c’est très inéquitable, même parfois à l’intérieur d’une même école. Si le [fédéral] avance là-dessus, ça va aider à ce que les provinces avancent. »

— Une citation de  Danie Martin, coordonnatrice du collectif québécois de la Coalition pour une saine alimentation scolaire

La ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jenna Suds, croit qu’une telle politique est seulement possible si elle est établie en étroite collaboration avec les provinces et les organismes oeuvrant en sécurité alimentaire.

« Le message a été clairement entendu. Nous avons des besoins uniques partout au Canada et il est essentiel de travailler ensemble avec les provinces et les territoires.  »

— Une citation de  La ministre Jenna Sudds

Les réalités propres aux communautés notamment autochtones au Canada doivent être prises en compte afin d’adapter le programme.

Un manque d'infrastructures

Il n’y a pas de système miracle, tranche Danie Martin. Mettre de l’argent est important, à son avis, mais si demain matin un programme national d’alimentation scolaire impliquait de commencer à nourrir l’ensemble des élèves du primaire au pays, on ne pourrait pas cuisiner tous ces repas parce que l’infrastructure pour le faire n’existe pas.

Ce qui va se passer en ville n’est pas la même chose qu'en milieu rural [où les écoles sont plus éloignées les unes des autres]. Avec les défis d’infrastructures et de main-d’œuvre, il faut être créatif, ajoute-t-elle.

Danie Martin donne en exemple l’Île-du-Prince-Édouard, qui a mis en place un système pour nourrir les élèves des écoles de la province. Ils ont utilisé les centres communautaires, les restaurants, les cuisines des écoles secondaires, et ils ont créé des pôles alimentaires scolaires qui livrent dans plusieurs écoles, explique-t-elle.

Arlene Mitchell, directrice de la Global Child Nutrition Foundation, soutient la création d’une vision centrale, mais y apporte une nuance. Je pense qu’il faut faire attention de ne pas microgérer son application, souligne-t-elle, citant les déboires du programme américain, embourbé selon elle dans une bureaucratie étouffante.

Ainsi, nos spécialistes jugent qu’une politique nationale devra donner l’encadrement nutritionnel, certaines règles d’approvisionnement alimentaire, des critères de qualité, etc. Mais elle devra permettre à chaque province, voire à chaque centre de service scolaire, de mettre en place son application selon ses besoins spécifiques.

L’idée qui pourrait tout changer

Le directeur de La Cantine pour tous, Thibaud Liné, ne s’en cache pas : son but est de montrer aux gouvernements qu’il est possible de s’assurer que tous les enfants mangent, tous les jours, à bas prix.

En prime, la préparation de ces lunchs encourage un écosystème qui va des fermes locales aux écoles en passant par les organismes d’aide alimentaire.

« On est là pour apporter une solution collective. Si on veut réclamer une solution au gouvernement, on est mieux d’y réfléchir nous-mêmes, de faire la démonstration. »

— Une citation de  Thibaud Liné

Les lunchs bien équilibrés permettent aux enfants de commencer l’après-midi d’apprentissage en ayant quelque chose de nutritif dans le ventre. Selon le Chic Resto Pop, qui prépare ces lunchs, c’est une bouée de sauvetage.

Thibaud Liné explique que dans le montant par plat qui est remis aux traiteurs comme le Chic Resto Pop pour préparer des repas scolaires, il y a toujours un petit excédent, qui peut ensuite être réinvesti dans le fonctionnement de l’organisme.

C’est un appui magique, juge Laurianne Labonté, directrice des opérations du Chic Resto Pop. L’aide de La Cantine pour tous passe aussi par l’appui sur le plan des valeurs nutritives et la création de la plateforme de vente en ligne. Ça marche tellement bien qu’on ne voit pas pourquoi on arrêterait.

« Plus on nourrit d’élèves avec La Cantine, plus on peut nourrir de gens à l’extérieur des écoles. »

— Une citation de  Laurianne Labonté, directrice des opérations, Chic Resto Pop

Thibaud Liné souhaite voir les choses aller encore plus loin. On a envie que les programmes soient intégrés les uns aux autres, que les enfants aient accès à une éducation relative à l’alimentation, affirme-t-il. Mon rêve, ce serait qu’on traite l’alimentation comme on traite l’anglais ou la musique.

Avec la collaboration de Carolle-Anne Tremblay Levasseur.

À quand une révolution du lunch dans les écoles? | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier