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Michael Jordan et son association avec Gatorade | Photo : Radio-Canada / Emilie Robert

La création du Gatorade a été une véritable révolution dans le monde du sport. Toutefois, les boissons sportives ne sont plus réservées aux athlètes; on les vend désormais à tout le monde, à côté des sodas et des jus. Comment s’est-on fait collectivement convaincre qu’on en a tant besoin? Récit d’un succès scientifique transformé en coup de circuit publicitaire.

Lors d’une journée particulièrement chaude du mois d’août 1966, les Gators de l'Université de la Floride affrontent les Tigers de l’Université de l’État de la Louisiane. Au quatrième quart, après s'être fait distancer pendant tout le match par l'équipe adverse, les Gators font une remontée et remportent la victoire devant leurs adversaires épuisés par l’étouffante chaleur.

Dans les bouteilles des joueurs des Gators se trouve une formule expérimentale, conçue par des scientifiques, qui permet à l’équipe d’endurer la température extrême. On attribue la victoire de la journée à cette invention. Le Gatorade est né.

Le principe de la boisson est simple et semble évident aujourd’hui : l’idée est de non seulement remplacer l’eau perdue pendant l’effort, mais aussi les minéraux – les électrolytes – éliminés dans la sueur. Du sucre est ajouté pour le goût, mais aussi pour soutenir le corps.

La fameuse partie de football du mois d’août 1966 attire l’attention de Stokely-Van Camp, une entreprise spécialisée dans l’emballage et la conservation alimentaire. Cette dernière achète les droits de production du Gatorade l’année suivante. Dans le monde du sport professionnel, le succès de la boisson est rapide.

En 1969, la Ligue nationale de football (NFL) signe un contrat avec la compagnie, et le Gatorade devient la boisson officielle de la ligue en 1983. La même année, Quaker Oats achète Stokely-Van Camp, puis amène le produit pour la première fois au Canada.

C’est en 1984 que survient un événement qui a contribué à cimenter la place du Gatorade dans la culture nord-américaine.

La première douche de Gatorade a eu lieu lors d’une victoire des Giants de New York contre les Redskins de Washington. Le joueur Jim Burt verse un réservoir de Gatorade sur son coach Bill Parcells à la fin de la partie. La tradition s’est répandue à d’autres équipes et à d’autres sports, jusqu’à devenir aujourd’hui un symbole de victoire.

Des partenariats payants

C’est en 1991 que Gatorade frappe un grand coup, soit la signature d'un contrat de 10 ans avec le célèbre joueur de basketball Michael Jordan. Au Québec, c’est le gardien de but Patrick Roy qui devient le visage de la marque américaine.

« On appelle cette stratégie le marketing aspirationnel. On se dit : si je consomme ce produit, je vais avoir le talent de Michael Jordan. »

— Une citation de  Tiffany Regaudie, autrice canadienne qui s'intéresse à l'histoire de la publicité

Toutefois, depuis les années 1980, Gatorade n’est plus le seul joueur sur le terrain. Powerade, et maintenant Prime, Biosteel, Pocari Sweat et de nombreuses autres boissons sportives ont rejoint la partie et compétitionnent pour la domination de ce lucratif marché.

C’est en 2001 que Pepsi acquiert Quaker Oats dans le but de mettre la main sur Gatorade. Dès lors, les ambitions sont mondiales. Aujourd’hui, on attribue à Gatorade des parts de marché dépassant les 70 % dans sa catégorie.

Depuis ses débuts, Gatorade applique une stratégie de marketing dynamique, qui affirme que le produit améliore la performance sportive, ajoute Tiffany.

Ailleurs qu'au Québec, où une loi empêche ce type de publicité, on cible même les enfants dans les espaces publicitaires médiatiques et sur les terrains sportifs. Le message est le même partout : buvez Gatorade quand vous avez soif, puisque c’est la meilleure manière de s’hydrater.

« C’est ce qu’on pourrait appeler un message antieau. »

— Une citation de  Tiffany Regaudie, autrice spécialisée en marketing

Mais en 2012, l’État de la Californie s’en prend à l’entreprise et à ses messages publicitaires. Au cœur de l’histoire : un jeu vidéo où le sprinter Usain Bolt doit éviter l’eau, laquelle ralentit sa performance, et où il doit absorber du Gatorade, ce qui le rend plus rapide. L’entreprise est condamnée à payer 300 000 $ et à cesser de dénigrer l’eau comme source d’hydratation.

Un public cible qui ne fait pas de sport

Les boissons sportives sont maintenant accessibles à tout le monde.
Les boissons sportives sont maintenant accessibles à tout le monde. | Photo : Radio-Canada

Si les personnes ciblées par les premiers essais du Gatorade étaient des athlètes de haut niveau, on ne peut pas en dire autant du public aujourd’hui visé par le marketing de ce type de boissons. De nos jours, on achète les boissons sportives presque comme on achèterait des boissons gazeuses.

Depuis quelques années, les entreprises qui produisent des boissons sportives tentent de convaincre une clientèle rebutée par les glucides. Entrent alors en scène les boissons sportives hypocaloriques, qui contiennent des édulcorants.

Un non-sens pour la nutritionniste du sport Ève Crépeau, parce que c'est la quantité de sucre que ces boissons contiennent qui les rend vraiment utiles pour le sport.

« Plus l’activité est intense et longue, plus tu dépends des réserves de glucides, mais ces réserves sont limitées dans le corps. Le Gatorade est une façon facile d’aller chercher des glucides. Dans certains sports, c’est plus facile de boire que de manger. »

— Une citation de  Ève Crépeau, nutritionniste

Dans le Gatorade régulier, le pourcentage de glucides est idéal, sans que ce soit aussi concentré qu’un jus de fruits. C’est donc mieux toléré par l’estomac. Il y a aussi la dose recommandée de sodium, qui est l'électrolyte principal à récupérer, ajoute-t-elle.

La spécialiste fait remarquer que les boissons sportives comme le Gatorade, le Powerade et le Biosteel sont appropriées pour les athlètes dont les activités sont longues et intenses – au-delà d’une heure et demie.

Les boissons sportives sont appropriées lorsqu'on fait des efforts intenses sur une longue durée, comme une course à vélo sur des dizaines de kilomètres.
Les boissons sportives sont appropriées lorsqu'on fait des efforts intenses sur une longue durée, comme une course à vélo sur des dizaines de kilomètres. | Photo : Getty Images / Patrick McDermott

« Je vois des gens qui achètent un Gatorade au dépanneur et qui repartent en auto, ça n’a pas rapport. Ça reste une boisson sucrée, au final. »

— Une citation de  Ève Crépeau, nutritionniste

De fait, on n’en a généralement pas besoin, sauf si on court un marathon ou qu’on fait du vélo sur de grandes distances. Quand tu fais une heure de CrossFit, tu vas courir de 30 minutes à une heure, tu n’as pas besoin de Gatorade. Tu peux très bien t’en tirer avec de l’eau, assure-t-elle.

La technologie, un argument marketing

Étant bien consciente que la science pouvait être mise à profit pour établir sa crédibilité, la société a fondé le Gatorade Sports Science Institute en 1985 afin de conserver sa supériorité scientifique sur ses rivaux.

À quoi ressemble l’avenir pour ce secteur? À mesure que la compétition augmente, Gatorade et les autres ne s’arrêteront pas aux boissons : la prochaine étape, c’est la technologie. L’entreprise a conçu en 2021 son timbre Gx Sweat Patch, qui analyse la sueur des athlètes pour extraire des données sur l’eau et les minéraux perdus pendant l’effort.

Gatorade songe à devenir une entreprise de technologie, soutient Tiffany Regaudie, qui croit que Gatorade a de l'intérêt pour les technologies qui s’insèrent dans les processus biologiques humains, qu’elle appelle le biohacking (génétique libre). En fin de compte, cette avancée ne sort pas de nulle part, et suit une tendance déjà bien établie chez les fabricants d’aliments et de boissons fonctionnels.

On est obsédés par la performance, même dans nos vies de tous les jours, avance-t-elle. Ça nous vient de cette pensée capitaliste qui nous amène à optimiser tous les aspects de nos vies, même à l’échelle cellulaire, pour être meilleurs au travail.

Gatorade et sa maison-mère, PepsiCo, n'ont pas souhaité nous accorder d'entrevue.

Michael Jordan et son association avec Gatorade | Photo : Radio-Canada / Emilie Robert