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Des centaines de milliers de personnes sont au Canada pour travailler grâce aux programmes de travailleurs étrangers temporaires (TET). Une grande partie est dans le secteur agroalimentaire. | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

À l’approche de Noël, des hommes venus du Mexique pour travailler au Québec nous ont parlé candidement de leurs plats favoris, de leurs traditions des Fêtes et de leur vie, marquée par le travail et l’éloignement.

La nuit est déjà tombée sur la ville de Québec en cette fin d’après-midi de décembre. Dans la salle de pause de l’usine de Martin Dessert, des hommes dans la vingtaine et la trentaine jouent au baby-foot et discutent tranquillement entre eux en espagnol.

L’entreprise – qui fournit des desserts à la chaîne St-Hubert, entre autres, et vend ses confections dans de nombreuses épiceries – engage plusieurs travailleurs venant du Mexique.

Ils laissent là-bas leur famille, leur épouse, leurs enfants et leur cercle social, qu’ils ne reverront pas pendant parfois plus d’un an. Le travail est exigeant, mais bien payé, et il comporte une foule d'avantages. Le mal du pays peut toutefois se faire sentir durement.

Pour eux comme pour les centaines de milliers d’autres travailleurs et travailleuses qui viennent d’autres pays pour pourvoir des emplois vacants au Canada, la cuisine est souvent un refuge, un petit bout de la maison. À quoi donc ressemble la nourriture festive pour les gens qui travaillent loin de leur pays et de leurs proches?

Eric et Miguel : retrouver le goût d’une soupe de maïs

Eric, la tuque bien enfoncée sur sa tête, sort son téléphone et me montre des vidéos sur lesquelles on voit de jeunes adultes dans la neige autour d’une piñata. À Noël, l’an dernier, on a été invité chez des Québécois. C’est moi qui a cuisiné cette fois-là; en fait, c’est souvent moi qui cuisine, raconte-t-il en jetant un coup d'œil complice à son frère Miguel, assis à côté de lui, avec qui il partage un logement.

Comme le détaille Eric avec fierté, c’était la première fois que leurs camarades du Québec goûtaient à un pozole, une soutenante soupe de maïs, et à des enchiladas de mole, un plat de tortillas farcies à la viande et recouvertes de mole, cette riche sauce traditionnelle.

Pour eux, le plus dur est de trouver les bons ingrédients pour cuisiner au Québec. Cependant, dans les dernières années, une plus grande population originaire d’Amérique latine a fait naître des commerces d’alimentation spécialisés qui offrent ces aliments difficiles à trouver.

Avant de devenir un plaisir pour les deux frères, la cuisine a d’abord été un besoin. Nos parents travaillaient tout le temps, alors on a dû apprendre à cuisiner, affirme Eric.

« Si tu as de la viande, des piments, des tomates, ce n’est pas important ce que tu fais; tu as quelque chose à manger. C’est comme ça que j’ai appris. Aujourd’hui, c’est facile pour moi de cuisiner. »

— Une citation de  Eric, travailleur étranger temporaire d’origine mexicaine

Chaque fois qu’on se réunit, on essaie de cuisiner des plats traditionnels; on essaie de garder la culture en vie, résume Miguel.

Ils se remémorent les soupers de Noël lorsqu’ils étaient plus jeunes : les grands rassemblements avec la famille, le barbacoa (l’équivalent mexicain d’un méchoui) et, bien sûr, l’inévitable pozole dans la maison de leur grand-mère.

David: porc, dinde et saucisses à Noël

L’année passée, j’étais en quarantaine, à cause de la COVID. Tu es censé manger ce que tu veux, et finalement, tu es enfermé dans ta chambre, raconte David. Lui qui vit seul a dû passer plusieurs semaines isolé après son arrivée au Québec, mais il était heureux : Parce que je savais que ma famille s’amusait, dit-il.

Pour David, la nourriture traditionnelle a une grande importance symbolique. C’est la nourriture que la grand-mère de ta grand-mère cuisinait, précise-t-il. Il est vrai que les plats classiques de la gastronomie mexicaine sont extrêmement anciens. Même si les mets d’aujourd’hui portent les marques de la culture espagnole, certaines préparations sont vieilles de plusieurs millénaires.

Le souper de Noël, dans la famille de David, comporte notamment de la longe de porc, de la dinde et des saucisses appelées butifarras.

Cette année, c’est avec des amis qu’il célébrera Noël. Maintenant, mon cercle social est plus grand. On va pouvoir au moins se faire une petite soirée, sinon c’est triste!

Roger, Luis Alberto et Rigoberto : les nouveaux venus

Roger, Luis Alberto et Rigoberto ne sont arrivés ici qu’il y a quelques mois. Ils devront donc travailler durant la période des Fêtes.

Les trois ne se connaissaient pas avant d’atterrir ici, mais ils partagent désormais un appartement. Ils ne partagent toutefois pas les mêmes goûts culinaires. Roger, par exemple, aime mixer les influences, comme il l'explique. Néanmoins, le moment du repas étant chose sacrée, les trois colocataires s’efforcent de manger en même temps… trois plats différents.

Reflétant la grande diversité culinaire du Mexique, les trois hommes parlent entre eux des plats qui sont traditionnellement servis à Noël. La famille de Roger, qui vient de l’État de Campeche, dans la péninsule du Yucatan, a l’habitude de manger de la dinde et de la soupe pour le réveillon.

Selon Luis Alberto, qui vient de l’État de Tlaxcala, au centre du Mexique, on doit aussi ajouter au menu une salade de pommes avec de la crème et du ponche, un thé de fruits chaud et sucré.

Rigoberto, qui est originaire de l’État d'Oaxaca, au sud du pays, décrit un tout autre réveillon. On a la mer, la plage, tout ça, alors on a des crevettes, des poissons, des huîtres, de la pieuvre en ceviche; ça, c’est Noël! On boit de la bière, du mezcal; on célèbre au maximum, tu ne peux pas t’imaginer!

Si Rigoberto n’a peut-être pas le Noël dont il a envie cette année, les trois colocs et leurs collègues organisent une petite soirée ensemble pour célébrer.

Malgré tout, un repas entre collègues n’empêchera pas Luis Alberto de s’ennuyer de sa famille, de ses deux enfants. C’est la première fois que le clan familial passera Noël séparé. La nourriture, c’est agréable, mais c’est mieux avec la famille, dit-il.

Des centaines de milliers de personnes sont au Canada pour travailler grâce aux programmes de travailleurs étrangers temporaires (TET). Une grande partie est dans le secteur agroalimentaire. | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier