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Des spécialistes de la santé n'encouragent pas d'écouter les conseils en ligne qui suggèrent de surveiller le taux de sucre dans le sang quotidiennement.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

À en croire la déferlante de conseils nutritionnels sur TikTok pour contrôler le taux de sucre dans le sang, tout le monde devrait surveiller sa glycémie afin de stabiliser son appétit, son poids et son humeur. Qu’on soit diabétique ou non. Pourtant, la science dit autre chose.

Sur TikTok, les vidéos liées au mot-clic #bloodsugarspike (hausse du taux de sucre, en français) ont cumulé plus de 1,8 million de visionnements. Parmi les conseils prodigués sur les réseaux sociaux, on suggère de manger les aliments dans un certain ordre, comme les légumes (fibres) avant les glucides, de manger un dessert après un repas plutôt que seulement en collation, de faire une promenade après avoir mangé, de boire une petite quantité de vinaigre de cidre de pommes avant un repas riche en glucides…

Mais des spécialistes de la santé affirment qu’il est inutile pour les personnes non diabétiques d’appliquer ces stratégies alimentaires strictes. Elles courent plutôt le risque de brouiller leur relation avec la nourriture.

Des millions de personnes veulent contrôler leur taux de sucre

Jessie Inchauspé, une Française connue sous l’alias Glucose Goddess(Nouvelle fenêtre) (déesse du glucose, en français), est exactement ça : la reine du sucre sur les réseaux sociaux. Plus de 3 millions de personnes sont abonnées à son compte Instagram. Celle qui est biochimiste de formation promet une chose : aider la population à réduire son taux de sucre dans le sang. Et elle multiplie les publications et entrevues pour mener sa mission.

Elle considère que les hausses de glycémie (le taux de sucre dans le sang) sont la cause d’une multitude de problèmes métaboliques comme la fatigue chronique, l’apparition de rides, les maladies du cœur, les migraines et le syndrome des ovaires polykystiques.

Dans ses vidéos, la créatrice de contenu justifie ses recommandations en citant des études scientifiques. Toutefois, les travaux sur lesquels elle se base présentent des populations différentes, notamment des personnes souffrant de diabète ou d’autres conditions que celles auxquelles elle s’adresse. De plus, nombre des recherches citées offrent des résultats à court terme ne pouvant pas être extrapolés.

Pour maîtriser les effets du sucre, Jessie Inchauspé utilise, entre autres, un capteur de glycémie(Nouvelle fenêtre). De plus en plus de personnes non diabétiques se servent de ces outils médicaux pour surveiller leur taux de sucre en permanence. Cette pratique est néanmoins critiquée dans le monde médical, car elle devrait être réservée aux diabétiques. Les publications liées au mot-clic #glucosemonitoring (surveillance du glucose, en français) cumulent 1,1 million de visionnements sur TikTok. Au Canada, 9,4 % de la population(Nouvelle fenêtre) vit avec le diabète.

Les recommandations de la reine du sucre ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan de stratégies nutritionnelles destinées à contrôler la glycémie présentées sur les réseaux sociaux. Ces astuces sont louangées pour les prétendus bienfaits qu’elles procurent. Le hic, c’est que la science est loin de leur donner raison.

Qui a peur du sucre?

Notre corps fonctionne adéquatement, explique Karine Gravel, nutritionniste et docteure en nutrition. Pour les personnes ne souffrant pas de diabète, la glycémie va augmenter après un repas et le pancréas va sécréter de l’insuline pour permettre au sucre d’entrer dans nos tissus et nos cellules. À ce moment-là, la glycémie redescend à sa valeur normale.

Une montée anormale du taux de sucre après un repas définit le diabète. Mais il est tout à fait sain d’observer une montée de la glycémie, soutient aussi le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, endocrinologue et directeur de l’Unité de recherche en maladies métaboliques à l’Institut de recherches cliniques de Montréal. Tout est une question d’intensité.

Le travail de la nutritionniste Karine Gravel est basé sur l'alimentation intuitive.
Le travail de la nutritionniste Karine Gravel est basé sur l'alimentation intuitive. | Photo : Radio-Canada / Magalie Masson

Karine Gravel estime que le contrôle glycémique est inutile pour les personnes non diabétiques. La nutritionniste souligne que l’adoption de nouveaux comportements alimentaires pour diminuer le taux de sucre dans le sang peut engendrer une relation trouble avec la nourriture.

« On doit faire confiance à notre corps. Si on s’inquiète de certains symptômes, la solution est d’aller voir un médecin, et non de chercher des réponses sur TikTok. »

— Une citation de  Karine Gravel

Ce genre de conseils ne provient pas de personnes ayant étudié la biologie et le système digestif, déplore la nutritionniste.

Contrôler son taux de sucre, est-ce que ça a un effet à long terme? La science nous dit non, soutient le Dr Rabasa-Lhoret.

« Manger des protéines ou du gras avec du sucre va diminuer le pic de glycémie. On se rend toutefois compte que ça augmente la durée de l’hyperglycémie. Ça transforme une montagne de l’Ouest en montagne des Laurentides. »

— Une citation de  Dr Rémi Rabasa-Lhoret

Devrait-on manger les aliments dans un certain ordre?

L’un des conseils répétés sur les réseaux sociaux pour contrôler son taux de sucre, c’est de manger des aliments dans un certain ordre. Les légumes d’abord, les protéines ensuite et les glucides à la fin.

D’ailleurs, une vidéo sur Instagram où Jessie explique l’importance de changer l’ordre dans lequel on mange les aliments en misant d’abord sur les légumes a été vue plus de 5 millions de fois.

Le Dr Rémi Rabasa-Lhoret est également directeur de l’Unité de recherche en maladies métaboliques à l’Institut de recherches cliniques de Montréal.
Le Dr Rémi Rabasa-Lhoret est également directeur de l’Unité de recherche en maladies métaboliques à l’Institut de recherches cliniques de Montréal. | Photo : Avec la permission de l’Institut de recherches cliniques de Montréal

Mais dans les études à ce sujet, de minimes différences sont observées entre les façons de manger un repas, avec des aliments dans un ordre précis, observe l’endocrinologue. Ça reste qu’on n’a aucune donnée sur les calories ingérées, l’environnement, les modes de cuisson. Des effets à court terme ne peuvent pas être extrapolés sur le long terme, et encore moins, sur l’ensemble de la population. On ne peut pas ennuyer les gens avec des consignes nutritionnelles compliquées qui ne sont pas prouvées, ajoute-t-il.

« Si on fait du totalitarisme nutritionnel, il faudrait être certain que les conseils sont utiles. À ce stade-ci, je ne pense pas que ça l’est. »

— Une citation de  Dr Rémi Rabasa-Lhoret

L’endocrinologue soutient que l’alimentation méditerranéenne(Nouvelle fenêtre), qui privilégie la consommation en abondance(Nouvelle fenêtre) de fruits, de légumes, de légumineuses et de céréales, est la seule à avoir prouvé ses nombreux avantages pour la santé à long terme.

Le sucre, le poids, mais jamais de recettes miracles

Dans son livre Glucose Revolution (la révolution du glucose, en français) publié en 2022 et sur ses réseaux sociaux, Jessie Inchauspé présente des graphiques avec des courbes pour expliquer ce qui se passe quand on mange un aliment sucré en comparaison avec un autre aliment qu’elle suggère. Une autre façon pour elle de convaincre son public d’adopter sa technique.

Selon l’auteure, cette maîtrise du taux de sucre dans le sang vient avec un bienfait non négligeable. La perte de poids ou, du moins, le contrôle du poids. Karine Gravel déplore que ces contenus misent sur des recettes miracles qui n’ont pas de réels impacts, sinon d’encourager une vision stricte de l’alimentation et de la perte de poids à tout prix.

C’est comme avoir l’impression de ne jamais faire la bonne chose. Ces règles sont strictes alors que l’alimentation est beaucoup plus nuancée que ça, soutient la nutritionniste. Adhérer à ces conseils peut amener de la culpabilité et une déconnexion de nos propres préférences alimentaires. 

Le Dr Rémi Rabasa-Lhoret pense que ce contrôle excessif de la glycémie chez la population non diabétique risque aussi de favoriser l’apparition d’autres problèmes comme l’orthorexie, qui se caractérise par une obsession de la santé et des aliments sains et purs.

Des spécialistes de la santé n'encouragent pas d'écouter les conseils en ligne qui suggèrent de surveiller le taux de sucre dans le sang quotidiennement.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier