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La tiktokeuse Rosie Grant découvre des recettes familiales inscrites sur des pierres tombales.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

Biscuits sablés, gâteaux aux carottes, croustades… Ces recettes, la tiktokeuse américaine Rosie Grant les a trouvées inscrites... sur des pierres tombales. Depuis deux ans, elle parcourt les cimetières à la recherche de recettes de l’au-delà et elle les relaye à sa communauté. Loin d’être axée sur la mort, cette aventure lui apprend avant tout à célébrer la nourriture et la vie.

Rosie Grant ne connaissait rien des sablés viennois avant de tomber sur une recette de ce dessert dans le cimetière Green-Wood, à New York. Sur l’épitaphe d’une inconnue sont inscrites les étapes à suivre pour concocter ces biscuits de tradition scandinave. Alors stagiaire aux archives numériques d’un cimetière de Washington, elle est intriguée par cette découverte et se lance à la recherche d’autres tombes similaires pour un projet universitaire.

La famille de Naomi Odessa Miller-Dawson se souvient d'elle notamment à travers sa célèbre recette de biscuits.
La famille de Naomi Odessa Miller-Dawson se souvient d'elle notamment à travers sa célèbre recette de biscuits.  | Photo : Gracieuseté : Rosie Grant

La pierre tombale de Naomi Odessa Miller-Dawson, érigée à sa mort en 2009, offre des indices sur la femme qu’elle était : mère, tante, grand-mère et arrière-grand-mère. Mais surtout, jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle à 87 ans, elle aimait la cuisine – les biscuits en particulier. Et sa fameuse recette de sablés viennois inscrite sur sa tombe rappelle sa présence à toute sa famille.

« Quelle merveilleuse façon de se remémorer quelqu’un! La nourriture relie tous les sens et permet de se souvenir de ce qu’une personne aimait dans la vie et de la façon dont elle exprimait son amour. »

— Une citation de  Rosie Grant

Ressusciter des recettes familiales

Cette prise de conscience l’a poussée à entamer un dialogue avec les personnes décédées en passant par la nourriture. Sur son compte TikTok @ghostlyarchive(Nouvelle fenêtre), la femme de 33 ans filme ses visites dans les cimetières américains et prépare les trouvailles gravées sur les épitaphes.

Deux gâteaux aux carottes, une croustade aux pêches, une crème glacée aux abricots, deux snickerdoodles (biscuits à la cannelle, en français), une tarte aux bleuets, un fudge, un pain aux dattes et aux noix, et les fameux sablés viennois figurent parmi les recettes qu’elle a découvertes sur des épitaphes.

Depuis 2021, l’archiviste a dénombré 25 pierres tombales du genre : 23 aux États-Unis et 2 en Israël.

Jusqu’à présent, elle a vu sept de ces pierres tombales. Ces visites lui ont permis d’en apprendre davantage sur l’histoire de chacune de ces personnes disparues et de développer ses compétences culinaires. Sur son compte TikTok suivi par plus de 196 000 personnes, elle reçoit des témoignages de familles lui expliquant la démarche derrière cette manière singulière de souligner la vie et la mort de leurs proches.

Ce sont toutes des femmes qui n’étaient pas des professionnelles de la cuisine, mais qui aimaient cuisiner, note Rosie Grant. La nourriture était importante pour elles. Elles aimaient recevoir et démontraient leur amour à travers ça.

Cette tendance reste toutefois marginale autant aux États-Unis qu’ailleurs dans le monde. Aucune pierre tombale du genre n’a été recensée au Québec pour le moment. Elles existent peut-être, mais ne sont pas chose commune dans la province.

Adoucir la mort avec du caramel

Rosie Grant a commencé ce projet de recensement en 2021.
Rosie Grant a commencé ce projet de recensement en 2021.  | Photo : Gracieuseté : Rosie Grant

Quand j’ai commencé, je ne pensais pas que la nourriture et la mort étaient liées, soutient Mme Grant. Maintenant, c’est difficile de ne pas voir cette relation entre les deux. Les aliments sont essentiels au processus de deuil. Les gens se tournent vers eux pour obtenir du réconfort, mais aussi pour revivre des souvenirs liés à une personne en particulier.

Selon elle, aux États-Unis comme au Canada, la mort demeure un énorme tabou. Elle estime que le fait de parler de cette fatalité à travers le prisme de la nourriture faciliterait les échanges à ce sujet.

« J’ai des conversations très saines sur la mort où la nourriture devient un véhicule pour parler avec une personne, de son vivant, de la façon dont elle veut qu’on se souvienne d’elle. »

— Une citation de  Rosie Grant

Quelle recette souhaiteriez-vous inscrire sur votre pierre tombale?

Mordu a posé la question à trois personnalités de la scène culinaire québécoise.

Pour le chef Minh Phat, la réponse est évidente : une recette de soupe tonkinoise. Le propriétaire des restaurants Anémone et MuiMui s’est souvent dit que s’il ne devait manger qu’une seule chose pour le restant de ses jours… ce serait du phô. C’est d’ailleurs un peu ce qu’il fait déjà puisqu’elle est au menu chez lui de nombreuses fois par semaine.

Minh Phat Tu dans Le resto d'après
Minh Phat Tu dans Le resto d'après | Photo : Picbois Productions

« Quand j’étais enfant, je ne mangeais que ça parce que j’étais plutôt difficile. Et ma mère mangeait seulement de la soupe lorsqu’elle était enceinte. »

— Une citation de  Minh Phat

Du côté de Caroline Huard, alias Loounie, ce sont ses sandwichs pas d’croûte végétaliens. Cette recette de son cru lui rappelle les bons moments entourés de ses êtres chers : C’est simple et sans prétention, mais tout le monde aime ça et ça me rend heureuse chaque fois que je les sers.

Sean Murray Smith a choisi un dessert qu’il sert à son restaurant, Île flottante, à Montréal. Il a d’ailleurs nommé son établissement en hommage à ce plat sucré et à son père. Mon défunt père, Karl J. Smith, a travaillé à Expo 67; il avait 23 ans. Moi, à cet âge-là, je devenais chef aux Deux singes de Montarvie, se souvient-il. L’île flottante d’Expo 67 [l’île Sainte-Hélène] et les histoires que mon père m’a racontées sont les plus grandes inspirations derrière cette création culinaire… et mon restaurant.

La tiktokeuse Rosie Grant découvre des recettes familiales inscrites sur des pierres tombales.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier