Vous naviguez sur le site Mordu

La Newfoundland Salt Company de Robin Crane et Peter Burt est aménagée dans un bâtiment historique de la ville de Bonavista à Terre-Neuve, sur la rue Church, construite en 1895 et qui a abrité le Arthur Sweetland Shop, un ancien magasin d’aliments secs. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Faire trois heures de route à l’aurore pour me rendre de Saint-Jean de Terre-Neuve jusqu’au pittoresque village de Bonavista, dans un épais brouillard, c’est le genre d’aventure qui me réjouit énormément. Je suis allée à la rencontre de Peter Burt et Robin Crane, les créateurs de la Newfoundland Salt Company, qui fabrique depuis une décennie maintenant des sels fins en petits lots et à la main. 

Dès l’entrée dans l’atelier de transformation des sels crisp & clean de Robin et Peter, une odeur d’iode s’empare de mon nez. À ma droite, dans une casserole déposée sur une plaque à induction, des laminaires frémissent doucement dans l’eau.

Chef de profession ayant évolué auprès de grands noms de la gastronomie canadienne dont Susur Lee et Jeremy Charles, Peter utilise une technique japonaise faisant appel aux algues pour ajouter de l'umami à son sel. Ce sel évoque le hot-dog! Ah, l’intriguant pouvoir aromatique des algues!

Pour fabriquer le sel aux algues, elles [les laminaires] demeurent dans le bassin tout au long du processus de fabrication, explique Peter Burt, qui a dirigé la cuisine du pavillon de la Colombie-Britannique lors des Olympiques de Beijing à l’été 2008. L’algue a cuit pendant huit jours lorsque je la retire des bassins. Ensuite, je la déshydrate, je la broie et je l’intègre dans le sel de mer d’algues.

« Faire du sel ressemble beaucoup à l'agriculture, car je construis un environnement pour que les cristaux poussent. Parfois, nous obtenons 25 % de flocons, parfois de gros cristaux durs. L'eau fait toujours à sa tête et le sel est différent tout le temps. »

— Une citation de  Peter Burt, copropriétaire de Newfoundland Salt Company
J'avais si hâte de rencontrer Robin et Peter, précurseurs de la fabrication artisanale de sels fins au Canada.
J'avais si hâte de rencontrer Robin et Peter, précurseurs de la fabrication artisanale de sels fins au Canada.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Une eau saline d’exception

Pour faire du sel, il faut obligatoirement de l’eau saline. Le couple dans la vie comme en affaires choisit avec soin l'endroit où il s'approvisionne en eau. Celle avec laquelle sont fabriqués leurs produits est puisée dans la baie de Trinité sur la côte nord-est de Terre-Neuve. Une pompe est installée à même le quai de Spiller’s Cover, nouvellement aménagé après avoir été détruit en 2019 par la tempête historique Snowmageddon. Chaque semaine, ce couple dans la vie comme en affaires remplit un réservoir de 2000 litres fixé dans le coffre de leur camionnette.

Le quai accueille seulement deux pêcheurs de homard et l’eau se déplace naturellement. Nous sommes entourés d'eau sur trois côtés ici à Bonavista, mais il est en fait très difficile de trouver l'emplacement idéal. Ici, c'est parfait, car en hiver, les rues sont déneigées jusqu'au quai, donc je peux le faire toute l'année.

La vue sur un glacier de Spiller's Cove.
La vue sur un glacier de Spiller's Cove.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

En une journée, Peter et Robin font de 8 à 10 chargements d’eau jusqu’à l’atelier de transformation situé à de 5 km de distance. L’eau est versée dans deux immenses cuves totalisant 50 000 litres d’eau pour prévenir toute éventualité face aux soubresauts de Dame Nature. Une quantité qui équivaut à trois semaines de production.

Nous faisons cela pour ne pas dépendre du beau temps, car en hiver, il y a beaucoup de mauvais temps, souligne Peter. Puis il fait vraiment froid et nous ne voulons pas toujours travailler dehors.

« Tout ce que nous faisons, nous le faisons à l'année. Selon les saisons, je vois une différence dans la quantité de sel que je peux produire, mais pas dans le goût. La salinité change d'une saison à l'autre. Lorsque les icebergs sont là, ils apportent de l'eau douce, ce qui rend plus difficile la production de sel. »

— Une citation de  Peter Burt, copropriétaire de Newfoundland Salt Company

Un procédé de huit jours

C’est à ce moment précis de notre rencontre que je constate à quel point je sous-estimais la fabrication de cet assaisonnement omniprésent dans ma cuisine. L’environnement dans lequel le sel prend forme a un impact direct sur le résultat final. C’est un travail physique et un procédé qui prend huit jours de travail sans arrêt, de l’extraction de l’eau dans la baie de Trinité jusqu’à la formation de cristaux de sel.

Lorsque l’eau est acheminée dans les cuves, elle a entre 2 et 3,5 % de sel, précise l’artisan Peter Burt responsable de chaque étape de production. Je la fais bouillir une première fois dans le but d’obtenir 80 % et plus de salinité. Je ne peux pas te donner mon chiffre exact [voilà le secret de chef!], mais ça me prend deux jours pour l'obtenir. Au fur et à mesure que l'eau bout, nous ajoutons de l'eau constamment. Pendant la nuit, il y a un boyau qui s’égoutte très lentement dans les cuves. Certains jours, ça déborde, d'autres bouillonnent rapidement. C'est le défi de chaque production.

Peter ramasse l'eau qui s'écoule de sa pelle et laisse derrière lui de gros flocons.
Peter ramasse l'eau qui s'écoule de sa pelle et laisse derrière lui de gros flocons. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Tout ce processus, au bout de huit jours, permet de produire 300 litres d'eau lourde. Peter la vide, puis la filtre une fois de plus pour enlever les sédiments comme le calcium et le magnésium qui se forment naturellement sur la surface intérieure des chaudières avant la formation de sel. Il ne veut pas que cela se retrouve dans son produit final.

L'eau est ensuite chauffée doucement à environ 60-70 degrés Celsius. Il n'y a pas de mouvement dans l'eau, elle est juste immobile et elle s'évapore lentement. Cela prend environ de six à huit jours, selon l'ensoleillement extérieur, car la pièce se réchauffe naturellement. De petites pyramides de sel se forment, se rejoignent et forment une nappe de sel à la surface de l'eau.

Si l'eau frémit à une température plus élevée, elle crée du mouvement. J’aurais des cristaux au lieu de flocons. Les flocons sont extrêmement délicats et constituent le produit le plus prisé.

L’eau est par la suite égouttée des flocons qu’on obtient dans un filet suspendu. Cette étape dure deux jours.

Une fois bien égoutté, le sel est monté à l’étage. Il est étalé sur des plateaux aménagés sur des échelles de boulangerie placées devant de grands ventilateurs où il sèchera davantage.

Les flocons sont extrêmement délicats et constituent le produit le plus prisé.
Les flocons sont extrêmement délicats et constituent le produit le plus prisé. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Séparation des cristaux

Contrairement à une production industrielle, la production artisanale permet à Peter de classer ses sels. Depuis le tout début de l’aventure, il est la seule personne qui verse le sel dans des pots offerts en boutique. Je me suis un peu peint dans un coin, avoue-t-il avec un demi-sourire. Peter est particulièrement exigeant.

Robin interrompt alors la conversation, avec un ton de découragement. Je commence, puis il vient épier ce que je fais par-dessus mon épaule. Je sais comment le faire, mais non, je ne peux pas.

C’est ma faute, poursuit Peter. C’est mon obsession. En touchant au sel, je peux tout de suite dire la qualité du produit, mais c’est surtout au son que je le sais.

Au son? Voici le son que produit sous le doigt un sel de très grande qualité, selon Peter.

La pandémie fut une période de grande croissance pour l’entreprise de Bonavista à Terre-Neuve.

Ce fut la période de la plus grande croissance de notre entreprise, en particulier en raison des personnes qui créent des produits alimentaires qui ont besoin de sel. Le sel de « style casher est désormais très populaire auprès des brasseries locales – Quidi Vidi, Landwash Brewery et Port Rexton – ainsi que Logan Petit Lot à Montréal, le chef John Winter Russell du restaurant Candide, Les Voisins dans Saint-Roch à Québec, le restaurant Faux Bergers à Baie-St-Paul ainsi que le boulanger Maxime Deslandes, fondateur de Blés de Pays.

Tous ces artisans de la gastronomie québécoise cuisinent exclusivement avec les sels de la Newfoundland Salt Company. Peter et Robin en sont très fiers.

C’est grâce à ce marché que je me permets d’être très exigeant avec mes flocons.

Les sels sont vendus dans des pots de verre recyclable.
Les sels sont vendus dans des pots de verre recyclable.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Après que le sel a complètement séché, Peter en prendra un lot pour le fumer pendant environ sept heures avec du bois de genévrier qui contient des baies de genévrier. Il fera un autre lot avec de l'aulne vert, mon préféré, qui met en valeur le fruit d'un arbuste omniprésent dans le paysage rustique de Terre-Neuve. Au Québec, les chatons séchés d’aulne vert sont commercialisés sous le nom de poivre des dunes.

C'est une nuisance ici, donc ça marche parfaitement, dit-il. Nous utilisons la partie mâle de la fleur. Je la déshydrate, la broie en poudre et l'incorpore au sel. Ce sel dégage un parfum propre à cette province unique du Canada. Ce sont là des arômes distinctifs du terroir canadien qui pourraient permettre à ces artisans du sel de percer aux États-Unis et en Europe, ce que les entrepreneurs tenteront prochainement.

Tout ce processus de fabrication de sel a été développé par Peter au cours des 10 dernières années par essais et erreurs. En plus de l'aulne vert, ce sont des arômes distinctifs du terroir canadien qui pourraient éventuellement permettre aux fabricants de sel de percer aux États-Unis et en Europe.


Newfoundland Salt Company(Nouvelle fenêtre)
45 Church St, Bonavista, NL 

La Newfoundland Salt Company de Robin Crane et Peter Burt est aménagée dans un bâtiment historique de la ville de Bonavista à Terre-Neuve, sur la rue Church, construite en 1895 et qui a abrité le Arthur Sweetland Shop, un ancien magasin d’aliments secs. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel