Secrets de scénariste : Marie-Hélène Lapierre
« La plupart des gens ne se doutent pas que juste un épisode peut s’écrire sur un mois et demi ou deux mois – et je parle d’émissions de 30 minutes. »
La scénariste Marie-Hélène Lapierre a réussi tout un tour de force récemment : celui d’écrire, en compagnie de l’auteure Justine Philie, une minisérie dramatique d’une heure destinée aux jeunes adultes. Les petits rois est en effet l’une des rares séries du genre drames pour ados (teen drama en anglais) à être produites au Québec, alors qu’elles sont monnaie courante aux États-Unis. Depuis qu’elle a amorcé sa carrière de scénariste, Marie-Hélène Lapierre a également coscénarisé les textes de la série Jérémie, dont elle est la coconceptrice, en plus de participer à l’écriture des émissions Stan et ses stars, Fan club, Fée Éric, Il était une fois dans le trouble et Tactik. Elle a pris quelques minutes pour répondre à nos questions sur son métier hors de l’ordinaire.
Voici le compte rendu de cette discussion.
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D’où t’est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
J’ai toujours regardé beaucoup de télé. Même très jeune, ça m’intéressait énormément. J’ai étudié en design graphique, puis j’ai travaillé dans ce milieu-là pendant quelques années. J’ai découvert que ce n’était pas vraiment ce que je voulais faire, alors je me suis dirigée vers l’écriture télé.
J’aime vraiment raconter des histoires. Je trouve que c’est un bon moyen de véhiculer des faits vécus ou des choses complètement nouvelles. J’aime beaucoup faire rire par les émissions que j’écris, faire vivre des émotions aux gens.
Comment une idée de série te vient-elle en tête? Est-ce un processus parfaitement conscient ou plutôt aléatoire?
Ce sont les deux, en fait. Si c’est en projet commandé, c’est sûr que c’est dirigé par la commande, mais sinon, ça peut vraiment sortir de nulle part. Des fois, je marche et j’ai une idée. (rires) Après, c’est de s’asseoir, de la développer et de voir si c’est viable.
T’inspires-tu des gens de ton entourage pour créer ou enrichir tes personnages?
Non, je ne m’inspire pas de gens directement. Cependant, je trouve que d’observer les gens autour de nous, que ce soit des gens proches ou juste, des fois, dans des situations de vie de tous les jours, c’est très utile pour avoir des référents en tête lorsque vient le temps d’écrire. Ce n’est pas une représentation concrète d’une personne que je connais, mais ce sont plein de faits et gestes que j’ai observés et que j’ai mis ensemble.
Au final, on a tous certaines similitudes, et je pense que c’est ça aussi qui fait que les gens se reconnaissent dans les séries.
Pour moi, c’est important de ne pas baser une histoire sur quelque chose de très précis que je connais ou que j’ai entendu. Je trouve ça plutôt irrespectueux, en fait.
Qu’est-ce qui te surprend le plus du métier de scénariste par rapport à l’idée que tu t’en étais faite à tes débuts?
La quantité de travail. C’est beaucoup d’heures! La plupart des gens ne se doutent pas que juste un épisode peut s’écrire sur un mois et demi ou deux mois – et je parle d’émissions de 30 minutes – avec toutes les phases, du synopsis à la version finale du dialogue. C’est sûr qu’on jongle avec plusieurs épisodes en même temps, mais c’est laborieux comme processus. Aussi, les contraintes... On ne peut vraiment pas tout faire, surtout ici, avec les budgets qu’on a. On a certaines limites pour les décors, les déplacements, les figurants, etc. Il faut donc trouver des solutions de rechange pour présenter une histoire sans que ça coûte trois millions par épisode. (rires) On fait vraiment des émissions de qualité avec les moyens qu’on a.
Quelle série aurais-tu aimé avoir écrite?
J’aime beaucoup Trying ou Starstruck. Ce sont des séries qui racontent la vie du quotidien, mais avec beaucoup d’humour dans les textes. Trying, c’est l’histoire d’un couple qui veut avoir un enfant, mais qui n’en est pas capable, alors il décide d’en adopter un. Les textes sont tellement bons et l’humour est fin. Les gags ne sont pas soulignés. J’aime les séries « feel good » [réconfortantes] comme Starstruck et Ted Lasso. Au Québec, j’ai tripé sur C’est comme ça que je t’aime. L’écriture de François Létourneau est sublime : les dialogues sont parfaits et les personnages, bien construits.
Tu as écrit sur beaucoup d’émissions jeunesse depuis le début de ta carrière. Qu’est-ce qui t’attire dans le contenu destiné aux jeunes?
L’adolescence est un moment dans nos vies où les émotions sont très vives, où l’amitié prend une grande importance. C’est vraiment porteur pour les trames narratives.
Il y a une certaine franchise, une ouverture à cet âge-là. C’est un beau public cible et, malheureusement, je trouve qu’on s’y adresse peu.
Il y a beaucoup de contenu pour la petite enfance et pour les 25 ans et plus, mais moins pour les jeunes qui se trouvent entre les deux. Je me souviens d’avoir beaucoup aimé les teen dramas en format d’une heure qui étaient diffusées sur la chaîne américaine CW. C’est pour ça que j’étais très contente de participer à l’écriture des Petits rois, parce qu’à ma connaissance, un format d’une heure pour cette tranche d’âge là, ça n’avait pas encore été fait ici. C’est un public qui est très à l’affût de ce qui se fait : il en écoute, des séries; c’est juste qu’il faut lui offrir du contenu d’ici.
Compléments :
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La récente série Les petits rois est très moderne, tant dans l’écriture que dans le jeu et la réalisation. Comment as-tu fait pour prendre le pouls de la jeune génération afin qu’elle se reconnaisse dans cette proposition et qu’elle y soit intéressée?
Moi-même, je pense que je continue à consommer le contenu que les jeunes visés par la série consomment. J’aime encore beaucoup les teen dramas. Comme je le disais tantôt aussi, c’est de regarder comment ils agissent entre eux. J’observe beaucoup quand je suis en présence de jeunes. (rires) Je me tiens aussi à l’affût en regardant ce qu’ils regardent, en restant informée sur ce qui les fait triper, ce qui est important pour eux. Je sais que je n’ai pas leur âge et je n’essaie pas non plus que ce soit parfait. C’est sûr que la série serait très différente si elle avait été écrite par quelqu’un de 18 ans!
J’essaie tout de même de me rapprocher le plus possible de ce qui fait vibrer les jeunes et de les respecter, pour pouvoir raconter quelque chose qui leur ressemble.
Quelle situation parmi les plus improbables qui soient as-tu dû surmonter comme scénariste?
Quand j’écrivais la première saison de Jérémie, le plus gros défi, c’étaient les délais très serrés. On a dû écrire 26 épisodes, ce qui est énorme, compte tenu du fait que c’était notre première série à Kristine et à moi. Ça tournait et on était encore en train d’écrire les textes. Comme c’est une série extérieure, il fallait avoir des plans B lors des jours de pluie pour pouvoir tourner quand même des scènes, mais dans d’autres lieux. À ce moment-là, c’était de la réécriture; pas tant des dialogues, mais d’ajuster l’action en fonction du lieu où ça allait être tourné. Sinon, Karelle [Tremblay] a eu d’autres projets en cours de route, mais ça, on l’a su quand même assez tôt, donc on a pu s’ajuster en conséquence. C’est souvent d’écrire des textes à la dernière minute, d’être capable de se tourner de bord rapidement.
Quelle relation as-tu avec la critique, autant celle formulée par des gens du milieu que celle du public?
Quand j’ai commencé, je la regardais et je la lisais, mais maintenant, je ne le fais plus. Pas parce que ça m’a blessée ou quoi que ce soit, mais parce qu’il y a des choses que moi j’adore en termes de séries que d’autres gens détestent. Ce sont des opinions très personnelles. Il n’y a plus rien à faire, de toute façon, après que la série est sortie. Pour moi, ce n’est pas bénéfique, nécessairement, d’aller les lire.
Ce n’est pas parce que quelqu’un a dit que c’était bon que c’est excellent, et ce n’est pas parce que quelqu’un a dit que c’était mauvais que ce l’est de A à Z.
Par contre, la critique avec laquelle je dois travailler, c’est plus celle de mes collègues ou des gens à la script-édition [sélection de textes], diffuseurs et producteurs. Des fois, c’est plus difficile, parce que quand tu écris quelque chose, tu le vois dans ta tête; tu penses que c’est la bonne façon de rendre cette histoire-là. Quand les commentaires et suggestions me sont envoyés, c’est comme si je me faisais dire que je n’avais pas choisi la meilleure option. Pour moi, la première lecture des commentaires est toujours plus difficile, mais ensuite, je les lis à tête reposée. Il y a toujours possibilité, aussi, de discuter avec les personnes à la script-édition, les producteurs, et de voir si on ne peut pas arriver à un entre-deux. On peut parfois défendre l’idée à laquelle on tient vraiment, et si ce n’est pas possible, ce n’est pas possible. (rires) L’écriture, c’est beaucoup de compromis.
Marie-Hélène Lapierre, merci beaucoup!
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel. Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste
, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
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La minisérie Les petits rois est offerte sur l’Extra d’ICI Tou.tv.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste
!