Secrets de scénariste : Joanne Arseneau
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel.
Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste
, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
Cette semaine, nous avons eu la chance de discuter avec Joanne Arseneau, une scénariste ayant plusieurs années d’expérience dans le métier. Elle a notamment écrit pour le magazine Croc, la série jeunesse Pop Citrouille et l’émission à sketchs Samedi de rire à ses débuts, avant de consacrer ses efforts à la scénarisation de séries de fiction telles que 10-07, TAG, Le clan, Les rescapés, 19-2 et, plus récemment, Faits divers.
Voici le compte rendu de cet entretien.
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D’où vous vient la passion pour l’écriture et la scénarisation?
Ça fait très longtemps que j’écris. Quand j’ai commencé, j’étudiais en psychologie; j’ai fait une maîtrise et un doctorat. J’ai fait mes débutsau magazine Croc, où j’écrivais de petites chroniques humoristiques. Une amie m’a ensuite demandé si ça me tentait de travailler à Radio-Canada pour écrire des sketchs. Et c’est ainsi que j’ai fait mes premiers pas dans le milieu de l’écriture télé. J’ai tout fait : sketchs pour enfants et adultes, des 3 minutes, des 15 minutes, des demi-heures... À l’époque, je ne savais pas que le monde de la scénarisation comme je le connais aujourd’hui existait. J’ai appris sur le tas; je n’ai pas fait d’études sur le sujet. Au final, je l’ai un peu fait par la bande, avec des lectures et des ateliers à travers la pratique, mais je n’ai pas étudié en scénarisation comme telle puisque ça n’existait pas dans les années 1980.
Et la passion, vous est-elle venue en regardant la télé quand vous étiez jeune?
Enfant, j’étais déjà une grande maniaque de télé. Le plus beau cadeau que ma mère pouvait me faire, c’était de me garder avec elle tard en soirée pour regarder des séries. J’ai pris la passion là, je pense. J’aimais aussi l’écriture, le cinéma, la psychologie, l’art et le dessin. Naturellement, on dirait que tous mes intérêts ont convergé vers le métier de scénariste. Étant donné que je suis une personne plutôt introvertie, ça entrait dans mes cordes. J’ai suivi des cours de théâtre quand j’étais jeune, mais je n’aimais pas être sur scène. Ça a finalement mené vers l’écriture et la scénarisation.
La passion, c’est arrivé comme un feu de forêt. Quand j’ai eu mes premiers contrats à Radio-Canada pour écrire des sketchs pour des émissions de télé jeunesse, il n’y avait plus rien qui existait. J’aurais pu faire ça gratuitement tellement j’aimais ça. Cette passion ne s’est jamais amenuisée depuis 1984.
Comment une idée de série vous vient-elle en tête?
Eh là là. Comment ça naît? Hum. Je ne sais pas, je pense que d’une série à l’autre… c’est dur à dire, parce que ce n’est jamais pareil.
Par exemple, pour Faits divers, une équipe de production française était venue à Montréal et cherchait à produire une série dont le récit se déroulerait dans le Grand Nord; un genre de Fargo québécois.
J’avais développé un projet dans cet esprit, mais le projet n’a pas abouti. André Béraud, de Radio-Canada, en connaissait l’existence, et il m’a rappelée. Ça partait d’une commande. Sinon, avant j’avais fait la série Le clan. J’avais développé une passion pour le western, tout d’un coup. Je m’intéressais aux cowboys parce que j’avais vu de belles images de l’Ouest canadien, et j’avais envie d’écrire une série racontant les péripéties de frères. Comme vous pouvez le constater, c’est vraiment aléatoire d’un projet à l’autre.
J’ai aussi fait des films, et on dirait qu’ils sont plus inspirés de trucs personnels. Je me suis rendu compte que ce n’était pas nécessairement mieux, qu’on se sentait plus libre quand on partait d’un sujet complètement en dehors de soi.
Vous avez commencé en humour et en jeunesse, pour ensuite vous rediriger vers le style policier. Pour quelle raison?
Oui, c’est vrai. Je ne lisais pas tant de polars quand j’étais jeune, mais on dirait que j’ai développé une passion pour l’univers policier en écrivant. Je fais beaucoup de recherche en amont avant d’entamer l’écriture d’une série et le monde du crime; c’est captivant. Je me rappelle que j’allais souvent rencontrer des membres de la police, le matin, avant qu’ils commencent à travailler, et j’ai développé un intérêt pour ce genre d’univers là. Ça fait longtemps! Je pense que la première série policière sur laquelle j’ai travaillé, c’était 10-07, dans les années 1990. Une fois le travail terminé, j’avais l’impression que je pouvais en faire beaucoup plus tellement c’était riche comme monde. Ce n’est que dernièrement que j’ai un peu joint le policier avec l’humour, qui était mes premières amours [Joanne Arseneau a longtemps travaillé avec Yvon Deschamps sur Samedi de rire]. Ce que je trouve particulièrement intéressant avec les histoires de crime, c’est que dès le départ, il y a une quête claire : on cherche un meurtrier. Il y a déjà une tension dramatique qui est présente.
Visez-vous à aborder différents thèmes d’un projet à l’autre?
Je ne fonctionne pas tellement par thèmes.
Je ne me dis jamais que je veux aborder la politique, par exemple. Je fonctionne davantage avec les personnages; ce sont eux qui viennent en premier, leurs attitudes.
Des personnages que je trouve attachants vont plus me motiver dans l’écriture qu’un thème particulier. J’ai peut-être développé une allergie aux thématiques, parce qu’à un moment donné, dans les années 1990, j’ai travaillé sur plusieurs émissions à thèmes. C’est ça que ça sonne dans ma tête. En même temps, des fois, je me dis que je ferai peut-être quelque chose sur le mouvement #MeToo, le viol ou le féminisme. Ça ne sera pas sur un thème en soi, mais ça mettra en scène des personnages qui véhiculeront des valeurs l’exprimant dans une histoire particulière. En bref, mon écriture n’est pas menée par le thème, mais plutôt par les personnages.
Si on ne prend pas compte des cotes d’écoute, qu’est-ce qui vous amène à décider qu’une série est terminée?
C’est le diffuseur! (rires) Dans le cas de Faits divers, je n’étais pas tannée, mais je ne pense pas que j’aurais été capable d’en faire beaucoup plus; peut-être une saison. En même temps, je n’ai jamais fait de séries qui durent 15 ans; je pense que ça ne me plairait pas. Cinq ans, ça serait mon maximum, je pense. À un moment, on a l’impression qu’on se répète, que ça sent la formule, mais je ne me suis jamais rendue là puisque j’ai participé à des projets qui ont duré deux ou trois ans tout au plus. Pour le moment, je n’ai pas eu à me poser la question.
Quels sont les ingrédients essentiels pour créer une bonne série?
Oh boy! La grande question. Idéalement, je dirais qu’il faut trouver des univers qui sont rarement exploités.
J’essaie de m’éloigner des histoires dites et redites, comme celles d’amour, ce qui a beaucoup été fait. Aussi, ça prend des personnages solides et audacieux, plus grands que nature, qui vont t’amener loin.
Il n’y a pas énormément de séries sur lesquelles j’ai capoté. Il y en a, comme Les Soprano. Qu’est-ce qu’il y avait dans cette série-là? Un personnage paradoxal intrigant, méchant, attachant. Tony Soprano, c’est comme Walter White dans Breaking Bad : ces personnages avaient tellement à défendre. Ce qui fait une bonne série, c’est la qualité des personnages principaux et de l’univers qui existe autour d’eux.
Que trouvez-vous le plus difficile dans l’écriture?
Comme dirait Clémence DesRochers : Le plaisir, ce n’est pas d’écrire, c’est d’avoir écrit.
Le plus difficile, c’est de se lever tous les jours et de ne pas se décourager, parce que les scénaristes, on est habituellement des êtres assez sensibles; on se décourage facilement.
On juge beaucoup. C’est assez ardu de se laisser aller à l’écriture, parce qu’il y a beaucoup d’embûches avant de se lancer.
Plonger, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Beaucoup de choses nous empêchent de le faire. À un moment donné, on va faire de la recherche, mais on va en faire trop, parce qu’on ne veut pas se lancer dans l’écriture. Une fois qu’on le fait, qu’on travaille les personnages, qu’on est dans la structure, qu’on est dans le jeu, c’est le fun.
Qu’est-ce qui est le plus satisfaisant?
C’est de finir un texte duquel on est à peu près satisfait, même si on n’est jamais complètement satisfait. Quand on a travaillé fort et que ça ne paraît pas, que ça a l’air simple, que ça se tient, c’est un grand plaisir. C’est sûr qu’un moment très intéressant, c’est quand la série commence à prendre forme. Quand la production travaille sur la distribution et qu’on voit les interprètes rencontrer des personnages et observer ce qu’ils leur donnent.
Des fois, tu vois des interprètes qui personnifient tellement bien des personnages qu’ils vont même un peu plus loin que le texte. Ça donne des couleurs aux personnages qui ne t’avaient même pas traversé l’esprit. Ça, c’est vraiment le fun.
Ensuite, quand on regarde les premiers montages, qu’on juge le rythme, on a un petit calvaire à passer, mais quand les choses se placent et que la musique embarque, c’est un grand plaisir. Un autre moment excitant, c’est lorsque tu te retrouves dans la salle de visionnement et que tu entends les gens réagir.
Est-ce qu’une œuvre vous a particulièrement marquée?
Ces dernières années, je reste encore accrochée aux Sopranos. Sinon, j’ai beaucoup aimé Breaking Bad. Ce sont deux séries qui m’ont fessée fort. Comme scénariste, j’apprécie beaucoup le travail de Charlie Kaufman, le scénariste qui a écrit Being John Malkovich. Ce genre d’univers là me fascine. Une autre œuvre qui a été particulièrement importante pour moi, c’est Raising Arizona, des frères Coen. Quand j’ai vu ce film-là, je m’étais dit que je voulais faire plus que des sketchs dans la vie; je voulais que ça devienne mon métier.
J’aimais les univers des frères Coen, parce qu’il y avait à la fois de l’intelligence, de l’humour et du drame dans les intrigues.
J’aime ce mélange de comédie et de drame. Raising Arizona, c’est con, mais j’aimais ça. (rires) C’est l’histoire d’une policière qui tombe amoureuse d’un bandit, et comme elle ne peut pas avoir d’enfant, elle en vole un. Peut-être que ça a mal vieilli, mais je sais que dans le temps, ça m’avait fait une bulle au cerveau.
Avez-vous un dernier mot à dire sur votre métier?
Si vous avez la passion pour ça, c’est vraiment le fun. Ce qui est dur, c’est de s’asseoir sur sa chaise et de chasser tous les monstres qui nous viennent à l’esprit avant de plonger. Une fois qu’on est dedans, c’est dur à battre; c’est comme une drogue.
Joanne Arseneau, merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous parler!
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Si vous n’avez toujours pas vu la série Faits divers, elle est actuellement disponible surICI Tou.tv.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste
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