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Salton Sea : un trésor vert sous un lac maudit

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Salton Sea : un trésor vert sous un lac maudit

Sous ce lac méconnu de Californie, théâtre de multiples catastrophes écologiques, se trouve l’un des plus imposants gisements de lithium d’Amérique du Nord.

Texte et photos : Jean-François Bélanger

Publié le 20 mars 2024

L’endroit est méconnu, mais majestueux.

Un lac d’un bleu profond, bordé par le désert, et des chaînes de montagnes à perte de vue. Salton Sea, la plus vaste étendue d’eau de la Californie, a souvent été surnommée le miracle dans le désert.

Destination vacances très en vogue dans les années 1950 et 1960, Salton Sea était fréquentée par tout le gratin d’Hollywood. Frank Sinatra, Jerry Lewis et les frères Marx y avaient leurs habitudes. Les Beach Boys aussi.

C’est la beauté des lieux qui a poussé Donna Winters à s’y installer, il y a un quart de siècle.

Cette retraitée, octogénaire, garde de très bons souvenirs de ses premières années sur place. Sa maison, située en bordure du lac, à Desert Shores, offrait une vue spectaculaire.

On a acheté ici parce qu’on voulait vivre à la plage et c’était génial, se souvient-elle. Les enfants se jetaient à l’eau depuis le quai, se baignaient. On se baladait en canot. Les voisins faisaient du ski nautique sur le lac.

Mais aujourd'hui, il n'y a plus d'eau sous le quai attenant à la maison de Donna Winters.

Le quai flottant devant la maison de Donna Winters et les canaux creusés tout autour ne servent plus à grand-chose. En effet, l’eau s’est retirée au fil du temps.

Et la petite marina de Desert Shores n’offre plus qu’un triste spectacle de désolation.

« Le niveau de l’eau s’est mis à baisser. Et puis, ils ont trouvé de la pollution. Ils ont mis des affiches pour interdire la baignade et pour qu’on empêche les chiens de boire l’eau. Maintenant, tout est sec. »

— Une citation de   Donna Winters, résidente de Desert Shores
Plan aérien du lac asséché.
Avec la sécheresse, le tiers de l’eau du lac s’est évaporée, exposant 100 km2 de poussières et de sédiments contaminés. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Salton Sea est un lac maudit né à la suite d’une inondation accidentelle après le bris d’une digue sur le fleuve Colorado en 1905, et théâtre depuis de multiples catastrophes écologiques.

Après des décennies de sécheresse, le tiers de l’eau du lac s’est évaporée, exposant 100 km2 de poussières et de sédiments contaminés.

De la terre craquelée par la sécheresse.

L’eau de Salton Sea est aujourd’hui deux fois plus salée que celle du Pacifique. Les déversements agricoles au fil des ans en font aussi le lac le plus pollué de Californie.

Alors, beaucoup d’habitants sont partis. Le pourtour du lac est maintenant parsemé de villages de vacances à l’abandon.

Comme Bombay Beach, avec ses plages toxiques et son air de fin du monde.

Un cocktail surréaliste qui a inspiré bien des artistes. L’endroit accueille une biennale d’art dont la renommée dépasse les frontières.

Des cratères et des amoncellements de terre.
À l'extrémité sud-est de Salton Sea se trouve une curiosité géologique. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

La promesse du lithium
La promesse du lithium

Mais à l’autre bout du lac, une curiosité géologique suscite beaucoup d’espoir.

Une série de monticules d’où s’échappent de la vapeur et des bruits bizarres, alors que des bulles de gaz carbonique se fraient un chemin vers la surface des mares de boue grisâtre.

De la boue bouillonne et fume.

C’est vraiment un paysage lunaire, concède le géologue Michael McKibben, de l’Université de Californie à Riverside. Ces volcans, ces geysers sont la manifestation en surface de phénomènes extraordinaires qui se produisent en profondeur.

Le scientifique ne cache pas son grand intérêt pour la région. Il décrit avec passion les fissures dans la croûte terrestre qui font que le magma brûlant vient en contact avec les nappes d’eau souterraine pour produire de la vapeur à plus de 700 °C. Une source d’énergie renouvelable exploitée par une douzaine de centrales géothermiques dans la région.

Michael McKibben pose à côté d'un cratère.

Mais le véritable trésor, c’est le lithium trouvé en très grande quantité dans cette saumure souterraine. L’un des plus grands gisements du monde.

Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, n’hésite pas à décrire le lac comme « l’Arabie saoudite du lithium ». Le département américain de l’Énergie estime qu’il y a, sous Salton Sea, 3400 kilotonnes de lithium, soit suffisamment pour produire des batteries pour 375 millions de véhicules électriques.

« Les réserves potentielles sont spectaculaires. Avec la capacité de production actuelle, il serait probablement possible de produire des batteries pour 4 millions de véhicules électriques par an. En augmentant la production, on peut parler de 10 à 12 millions de véhicules électriques par an. Cela pourrait vraiment contribuer à rendre les États-Unis autosuffisants. »

— Une citation de   Michael McKibben, géologue, Université de Californie à Riverside

Une découverte qui a provoqué une nouvelle ruée vers l’or en Californie.

Trois entreprises concurrentes comptent bien tirer parti de ce que l’on appelle déjà ici « le lithium vert » : Berkshire Hathaway Renewables (BHR), Controlled Thermal Resources (CTR) et Energy Source Minerals (ESM).

Une centrale géothermique.
La compagnie Energy Source Minerals exploite déjà une centrale géothermique à Salton Sea. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Un défi majeur
Un défi majeur

ESM affirme détenir une longueur d’avance sur ses rivales.

D’abord parce que l'entreprise exploite déjà une centrale géothermique sur place, mais aussi parce qu'elle assure avoir conçu une technologie très efficace pour récupérer le lithium de la saumure fortement minéralisée tirée du sol, ce qui n’est pas une mince affaire.

Michael McKibben résume le défi : Les conditions sont extrêmes. La saumure est très chaude, très salée, acide et, donc, très corrosive. Et puis, il y a le débit. Ils traitent 50 000 gallons de saumure par minute, ce qui équivaut à essayer de boire à même un boyau d’incendie.

Dans un conteneur maritime transformé en laboratoire, Davis Deak, le directeur du développement chez ESM, montre avec fierté son installation composée d’une série de tubulures, application d’un procédé breveté appelé ILiAD.

Portrait de David Deak.

C’est comme un filtre Brita, mais à l’envers, explique-t-il en montrant deux bocaux, l’un couleur rouille et l’autre limpide, représentant l’avant et l’après-filtrage. On fait passer la saumure à travers ce filtre qui absorbe le lithium de façon sélective et laisse passer les autres impuretés.

Il affirme que le procédé permet de récupérer 90 % du lithium présent dans le liquide.

La saumure souterraine sous Salton Sea contiendrait assez de lithium pour fabriquer les batteries de 375 millions d'autos électriques.

« Ce qui en fait une ressource durable, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'extraire de minerai du sol. Le seul travail à faire est de récupérer le lithium de la saumure avant de la réinjecter. »

— Une citation de   David Deak, responsable du développement, Energy Source Minerals
Une montagne de terre salée.

Cet ancien cadre de chez Tesla affirme que le procédé d’extraction du lithium de Salton Sea sera l’un des plus propres au monde.

Nous surpassons largement toutes les opérations existantes en ce qui concerne l’occupation des sols, l’utilisation d’eau et surtout l'empreinte carbone, affirme-t-il.

L’emploi de l’énergie renouvelable des centrales géothermiques disponible sur place et le fait qu’il n’est pas nécessaire de transporter le minerai pour le traiter permettront, selon lui, d’émettre 80 % moins de carbone que les concurrents en Chine ou en Amérique latine.

David Deak affirme que le début des travaux de construction de l’usine à Calipatria est imminent. Nous allons produire 20 000 tonnes d'hydroxyde de lithium, ce qui représente assez de lithium pour fabriquer environ un demi-million de véhicules électriques par an.

La production pourrait débuter dès 2026, d'après lui. À condition, bien sûr, que le financement soit au rendez-vous.

Une centrale géothermique.

Des prévisions à prendre toutefois avec un grain de sel, prévient Michel Jebrak, professeur émérite à l’UQAM, spécialiste des ressources minérales métalliques et auteur du livre Objectif lithium, réussir la transition énergétique.

Ce sont des affirmations d’anticipation pour aller chercher du capital, prévient-il.

Pour lui, la récupération directe du lithium dans des saumures offre des avantages évidents. L'absence de lac d'évaporation permet une récupération quasi immédiate. C’est donc mieux que les mines de spodumène et que les salars actuels.

Il ajoute cependant que le procédé vanté par ESM n’a pas encore fait ses preuves à grande échelle. D'après lui, le gisement de Salton Sea n’offre pas non plus une concentration exceptionnelle de lithium.

En somme, le principal avantage du lithium californien, selon le professeur de l’UQAM, est de permettre aux États-Unis de s’affranchir de leur dépendance vis-à-vis de la Chine.

Pour le géologue Michael McKibben, ces arguments géostratégiques pèsent lourd dans la balance quand il s’agit d’évaluer le potentiel de Salton Sea.

Les aspects écologiques aussi.

« Il y a beaucoup de bonnes raisons environnementales de le faire ici. La plomberie est déjà là. Les centrales électriques sont toutes là. Alors pourquoi ne pas simplement ajouter un filtre pour récupérer le lithium? »

— Une citation de   Michael McKibben, géologue, Université de Californie à Riverside
De la terre craquelée au bord d'un chemin.
De la terre craquelée au bord d'un chemin Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Une région déshéritée
Une région déshéritée

Un autre facteur entre dans le calcul politique, estime M. McKibben : la région a cruellement besoin du lithium.

C'est le comté le plus pauvre de Californie et le deuxième des États-Unis à ce chapitre, souligne-t-il. Il aurait bien besoin d'un coup de pouce économique.

De fait, les problèmes de la Vallée impériale, de plus en plus souvent surnommée « la Vallée du lithium », sont nombreux. Quand vient le temps de les énumérer, Luis Olmedo, président de l’organisation communautaire Comite Civico del Valle, ne sait pas trop par où commencer.

Lorsque le système économique est déséquilibré et que les pauvres paient le prix de la négligence des riches et de ceux qui gaspillent nos ressources naturelles, on se retrouve avec des communautés comme celle-ci, dit-il.

Portrait de M. Olmedo.

Parcourant la ville de Calipatria à bord de son camion électrique, il fait remarquer la forte odeur qui rend l’air ambiant presque irrespirable.

Il précise avoir fait installer 70 capteurs pour permettre un suivi de la qualité de l’air dans la région. Et le résultat est sans appel.

Nous respirons constamment de l'air pollué, ce qui a des répercussions sur notre système respiratoire, explique-t-il. C'est pourquoi nous avons la plus forte prévalence d'asthme, en particulier chez les enfants d'âge scolaire.

Une situation qui a instillé au sein de la population ici une bonne dose de scepticisme et de méfiance vis-à-vis des autorités et des grandes compagnies.

Comme bon nombre de ses voisins, Luis Olmedo veut croire aux promesses du lithium. Il a même fait installer des bornes de recharge et fait acheter des véhicules électriques afin que la communauté ne soit pas laissée pour compte dans la transition énergétique.

Mais il tient à être entendu. Il veut s’assurer que le minerai soit extrait proprement, mais aussi que les revenus qui en seront tirés permettent la décontamination de la région.

« Ce sont nos minéraux. Les minéraux se trouvent sur des terres publiques. Dans l'état actuel des choses, est-ce que la communauté en tire des bénéfices? Non. Nous devons nous asseoir pour négocier les termes et les conditions. Et nous devons tenir notre bout. »

— Une citation de   Luis Olmedo, président du Comite Civico del Valle

Comme son père avant lui, M. Olmedo a consacré sa vie à aider les populations déshéritées de la région. Une mission qu’il poursuit depuis un quart de siècle.

Il siège aujourd’hui au sein de la commission de la Vallée du lithium et, à ce titre, il consulte beaucoup les membres influents de la communauté, par exemple Hector Cervantes. Comme tout le monde ici, Hector reconnaît que la région a cruellement besoin d’emplois et de développement.

On espère que cela va nous donner du boulot, note M. Cervantes. Parce qu'ici, dans la vallée, le taux d'emploi est extrêmement bas. Il y a beaucoup de sans-abris.

Portrait de M. Cervantes.

Il ajoute du même souffle qu’il faut des emplois structurants et des investissements à long terme, car la communauté en a marre des promesses sans lendemain.

Qu'est-ce qu’on va en retirer? Est-ce qu'ils vont juste venir exploiter toute la ressource et s'en aller? Ou est-ce qu’ils vont nous aider et rester ici à long terme? demande-t-il.

Luis Olmedo l’écoute attentivement avant de conclure, philosophe : On va voir ce qu’on peut faire afin d’obtenir ce qu'il y a de meilleur pour la population.

Un coucher de soleil.

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