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Les risques de s’autodiagnostiquer un trouble de santé mentale avec les réseaux sociaux

Les risques de s’autodiagnostiquer un trouble de santé mentale avec les réseaux sociaux

Texte : Angie Landry Illustrations : Josselin Pfeuffer

Publié le 18 août 2022

Alors que vous regardez distraitement votre téléphone, une publication léchée attire votre regard : une liste de symptômes apparaît sur votre fil d’actualité. « 5 signes que tu vis une dépression ». Sentiment de tristesse, trouble du sommeil, manque d’énergie, perte d'intérêt, baisse de concentration. Votre cœur s’emballe : vous avez enfin trouvé les mots pour décrire vos maux.

Sur Instagram et TikTok, ce genre de contenu pullule. Au moment d’écrire ces lignes, les vidéos liées au mot-clic #mentalhealth (santé mentale) cumulaient près de 42,6 milliards de visionnements sur l’application chinoise TikTok. Sur Instagram, 41 millions de publications y sont liées.

C’est sans compter les déclinaisons de mots-clics concernant des troubles psychologiques particuliers, comme la dépression, la bipolarité, l’anxiété. Et à l’heure où les soins en santé mentale sont difficilement accessibles au Québec, ces publications sur les réseaux sociaux agissent comme un bandage temporaire pour des âmes en quête de réponses.

Des professionnels en santé mentale s'inquiètent toutefois de cette tendance à l’autodiagnostic, même s’ils y voient certains points positifs.

Enfin, je me suis reconnue, confie Virginie*, 31 ans. C’est une publication de 10 diapositives résumant les grandes lignes du trouble de comportement alimentaire sans spécification clinique rédigée par une créatrice de contenu québécoise très populaire qui a mis des mots sur ce que vivait la jeune femme.

« Je me suis dit : “Oh, mon Dieu, c’est ça! Ça correspond à 100 % à comment je me sens au quotidien.” »

— Une citation de   Virginie

Virginie a développé des habitudes alimentaires malsaines au début de sa vingtaine. De la course à pied intensive aux plans alimentaires proposés par des coachs en alimentation, elle a entretenu son image corporelle gramme par gramme. J’ai crevé de faim. J’ai eu tellement faim, insiste-t-elle.

Même si elle estime avoir abandonné les excès, elle avoue vivre encore quotidiennement avec un sentiment de culpabilité. Si elle pense avoir trop mangé, elle se surentraîne. C'est vraiment tous les jours. Je me lève. Je me sens grosse. Je me dis que j'ai trop mangé. C’est intégré, laisse-t-elle tomber, avant que sa voix ne se brise.

Honnêtement, si je n’avais pas vu cette [publication], je ne pense pas que j’aurais vu l'espèce de red flag. C’est un problème que j’ai. C’est là, c’est tangible.

Sur les réseaux sociaux, ces contenus, parfois des témoignages personnels ou des listes de symptômes, attisent la curiosité, mais poussent aussi certaines personnes à une suradhésion et à s'autodiagnostiquer des problèmes de santé mentale.

J’ai des patients qui arrivent dans le bureau en me disant : “Voici ce que j’ai, Madame”, partage la Dre Lily Trudeau-Guévin, psychologue au programme Santé Mentale Jeunes du CLSC Saint-Laurent, à Montréal.

Le plus souvent, c’est en consultant des listes de symptômes sur Internet que ses patients en sont arrivés à ces conclusions.

« Certains me disent : “Voici mon diagnostic, je pense que je suis bipolaire parce que je remplis les critères et je me reconnais vraiment là-dedans”. »

— Une citation de   Dre Lily Trudeau-Guévin

Au Québec, seul un médecin ou un psychiatre – ou une superinfirmière, à certaines conditions – peut établir le diagnostic officiel qui se trouvera dans votre dossier médical et vous prescrire un traitement. Les psychologues, eux, peuvent donner des impressions diagnostiques, ce que l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) nomme un diagnostic psychologique.

Des personnes utilisent les réseaux sociaux pour s'autodiagnostiquer un trouble de santé mentale.
Des personnes utilisent les réseaux sociaux pour s'autodiagnostiquer un trouble de santé mentale.  Photo : Radio-Canada / Josselin Pfeuffer

Le diagnostic, fruit d’une longue quête
Le diagnostic, fruit d’une longue quête

Au moment de notre discussion, Virginie considérait qu’elle n’était pas arrivée à l’étape d’entreprendre une démarche thérapeutique. Ses découvertes lui avaient déjà apporté un grand réconfort.

Il ne faut pas oublier qu’une démarche diagnostique, c’est une démarche. Et ça se fait souvent sur plusieurs séances, souligne la Dre Lily Trudeau-Guévin. Dans ce processus, le professionnel de la santé prend en compte un ensemble de facteurs, dont l'historique de santé mentale du patient, son environnement, ses autres symptômes, etc.

Par exemple, quelqu’un qui vivrait, sans le savoir, avec un trait ou un trouble de personnalité limite (TPL), pourrait avoir tendance à croire qu'il a plutôt un trouble bipolaire, notamment en raison des sautes d'humeur intenses. Et comme il y a autant de vécus que d’humains, il faut miser sur la prudence lorsqu’un témoignage sur les réseaux sociaux nous interpelle, avance la Dre Trudeau-Guévin.

Même chose à l’égard de ces fameuses listes de symptômes – qui servent effectivement de guide aux professionnels de la santé mentale en contexte clinique – mais qui ne déterminent pas à 100 % la présence d’un trouble.

« Les réseaux sociaux nous donnent l’illusion d’obtenir des réponses très claires à des questions très vastes, surtout dans le cas des pathologies plus difficiles à diagnostiquer, comme les troubles de personnalité. »

— Une citation de   Dre Lily Trudeau-Guévin

Là où il faut être prudent, c’est qu’un symptôme, ce n’est pas un diagnostic, nuance la Dre Pascale Breault, directrice médicale du nouveau groupe de médecine familiale universitaire du CLSC Hochelaga-Maisonneuve.

Elle rappelle d’ailleurs que les contenus consacrés à la santé mentale sur les réseaux sociaux arrivent sans avertissement dans un fil d’actualité, poussés par un algorithme qui analyse des préférences de l’utilisateur.

« Les algorithmes contribuent à créer et favoriser [un] biais de confirmation. Chez des individus avec certaines fragilités ou vulnérabilités, ça peut contribuer à créer des convictions… »

— Une citation de   Dre Pascale Breault

Une réponse au système de santé?
Une réponse au système de santé?

L’introspection et la prise de conscience font généralement partie d’une première étape vers un processus de guérison, affirme le Dr Joaquin Poundja, psychologue à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.

Mais comme les psychologues et les psychiatres à qui nous avons parlé, il craint que les personnes qui s'autoétiquettent un trouble de santé mentale n'aillent pas le valider auprès d'un professionnel, ce qui peut alimenter le sentiment de détresse.

Cela dit, les conséquences liées au phénomène d’autodiagnostic sur les réseaux sociaux ne poussent pas de nulle part. Les grandes difficultés d’accès aux services en santé mentale dans le réseau public entraînent certains à aller chercher des réponses sur les plateformes numériques.

Au Québec, le Guichet d’accès en santé mentale indiquait que 21 072 personnes étaient en attente, en date du mois de juillet, pour obtenir des services.

Plus précisément, 10 480 personnes sont en attente pour un soin de première ligne (problèmes d’intensité légère à modérée ou sévère/complexe, mais stabilisés), puis 10 592 pour un soin de deuxième ligne (trouble de santé mentale grave avec atteintes sévères sur le plan du fonctionnement global).

En première comme en deuxième ligne dans le réseau public, les personnes qui peuvent accéder aux services offerts doivent d’ailleurs présenter des symptômes qui ont un impact sur le fonctionnement.

Par exemple, quelqu’un qui vit une forme de symptômes de l’ordre du trouble dépressif ou du trouble anxieux, mais qui reste fonctionnel à tous les niveaux de sa vie, [...] il ne sera pas priorisé, du moins pas au public, précise la Dre Pascale Breault.

Et c’est en partie cette attente qui freine Virginie quant à entamer une démarche thérapeutique : J’ai l’impression que je prendrais la place de quelqu’un d’autre dans le système de santé.

Des personnes utilisent les réseaux sociaux pour s'autodiagnostiquer un trouble de santé mentale.
Des personnes utilisent les réseaux sociaux pour s'autodiagnostiquer un trouble de santé mentale.  Photo : Radio-Canada / Josselin Pfeuffer

Les réseaux sociaux comme un bandage
Les réseaux sociaux comme un bandage

C’est en voyant poindre les effets potentiels de la pandémie sur la santé mentale que la psychologue Janick Coutu a vu l’opportunité d’utiliser les réseaux sociaux à bon escient. Je me suis demandé comment je pouvais amener un peu de lumière en ces temps sombres, dit-elle, alors qu’elle remarquait les témoignages d’anxiété liés au confinement, mais aussi aux effets inconnus de la COVID-19.

Connue sous le pseudonyme Dose de psy, elle publie des vidéos et des carrousels sur les réseaux sociaux, où elle sensibilise les internautes à différents états psychologiques, à la gestion des émotions, et, de plus en plus, aux troubles de santé mentale. Et ça marche : elle cumule plus de 130 000 abonnés sur TikTok et Instagram.

La psychologue qui se spécialise dans les troubles alimentaires et les troubles de personnalité limite (TPL) croit que ses capsules contribuent à enrayer l’imposante désinformation sur ces sujets. Tout comme les professionnels de la santé à qui nous avons parlé, qui admettent que les contenus qui font la promotion de la santé mentale restent de bons outils pour briser les tabous qui persistent.

Toutefois, il y a un bémol qui accompagne cette impression de proximité entre les psychologues et les utilisateurs que les réseaux sociaux peuvent faire miroiter. Dans le cas de Dose de psy, plusieurs ont tenté d’obtenir des services ou des réponses par l’entremise de sa messagerie privée.

Au début, je prenais les messages et je dirigeais les gens vers les services. Mais comme [ma communauté] a grossi, ce n’était juste plus possible. Ce n’est même pas possible de répondre à quelqu’un qui n’a qu’une petite question, ça ouvre la porte. Il y a tellement de nuances à apporter.

« En plus, en ce moment, le système est saturé. Donc tu réfères, mais qu’est-ce que ça apporte réellement, cette référence? Ça crée de la frustration. »

— Une citation de   Dre Janick Coutu

Depuis, elle affiche clairement sur ses profils qu’elle refuse les communications privées. Elle souhaite surtout que les gens voient plutôt ses publications comme un complément à la thérapie ou aux ressources en santé mentale.

Des personnes utilisent les réseaux sociaux pour s'autodiagnostiquer un trouble de santé mentale.
Des personnes utilisent les réseaux sociaux pour s'autodiagnostiquer un trouble de santé mentale.  Photo : Radio-Canada / Josselin Pfeuffer

Place à la communauté
Place à la communauté

Pour le Dr Joaquin Poundja, ces contenus peuvent aussi répondre à la recherche d'un soutien social. Le soutien social, ça peut déstigmatiser la santé mentale, ça peut diminuer le niveau de stress. Surtout en période de pandémie, croit-il, où plusieurs ont été confrontés à une anxiété grandissante et à une intolérance à l’incertitude plus marquée.

C’est notamment ce que la doctorante en communication à l’Université Concordia Fanny Gravel-Patry remarque dans ses recherches sur l’effet de la thérapie par Instagram sur des femmes.

Elle considère que les réseaux sociaux deviennent un refuge particulièrement important pour les femmes noires ou autochtones, ou encore celles de la communauté LGBTQ+, pour qui le système de santé n’est pas toujours culturellement sécurisant.

Les gens se tournent vers Instagram pour avoir un effet de bienveillance, un effet de communauté et de la validation, explique la chercheuse Fanny Gravel-Patry.

« En général, on fait la promotion d'un modèle très universel de la psychologie, qui fait abstraction des conditions sociales et des effets des politiques sur nos vies personnelles. Instagram permet malgré tout de voir des contenus adaptés à une réalité plus intersectionnelle. »

— Une citation de   Fanny Gravel-Patry

L’effet de validation qu’apportent des plateformes comme TikTok trouve d’ailleurs un écho particulier chez les adolescents, reconnaît le doctorant en psychologie de l’enfance et l’adolescence à l'Université de Sherbrooke Maxime Labonté.

« Trouver une communauté avec des points qui leur ressemblent, c’est hyper important. Mais là où ça peut devenir problématique, c’est quand le diagnostic devient un repère identitaire. »

— Une citation de   Maxime Labonté

Fanny Gravel-Patry émet d’ailleurs un avertissement quant à l’utilisation des plateformes numériques en lien avec la santé mentale : celles-ci existent d’abord pour engendrer des profits, et pas nécessairement pour générer du bien-être. En 2021, le Wall Street Journal révélait notamment que Meta cachait les résultats peu glorieux d’études démontrant les niveaux élevés de dépression et d’anxiété chez les jeunes utilisateurs d’Instagram.

L’importance des mots
L’importance des mots

Entre-temps, Virginie continue d’assumer pleinement l’étiquette qu’elle s’est donnée, grâce à Instagram. Je suis clairement dans l’autodiagnostic, je n'ai été voir personne.

« Mais si ce n’était pas du fait que j’étais abonnée au compte [qui m’a éclairée], j’aurais recommencé mon plan alimentaire. Parce que je ne fais que penser à mon alimentation, tous les jours. »

— Une citation de   Virginie

S’il y a une chose que les professionnels de la santé ont tous observée, c’est que les gens se permettent davantage de nommer comment ils se sentent psychologiquement.

Et en soi, il s’agit d’un pas dans la bonne direction.

« Pour certaines personnes, un diagnostic, ça donne un sens à un mal-être qu’elles ont à l’intérieur d’elles. »

— Une citation de   Maxime Labonté

Il faut travailler en amont, ajoute la Dre Pascale Breault. Ça prend des cours d’éducation à la santé. Les gens, quand ils consultent, c’est qu’ils ne se sentent pas [normaux]. Ils vivent des préoccupations ou une détresse sans avoir les outils.

À cet égard, le ministère de la Santé et des Services sociaux assure que du travail de promotion et de prévention en santé mentale est effectué. Il indique notamment que des activités ont lieu dans les milieux scolaires ainsi qu’auprès des familles et de la communauté.

Au bout du compte, il faut vérifier et valider avant de s’étiqueter une problématique, tant pour soi-même que pour autrui.

Parce que si quelqu’un s’attribue faussement un diagnostic et qu’il partage ensuite un vécu partiellement erroné ou qui n’est pas tout à fait juste, il peut stigmatiser davantage les personnes qui vivent réellement avec un trouble de santé mentale, conclut Maxime Labonté : Au fond, ce sont nos angles morts qui nous empêchent d’être bons pour nous autodiagnostiquer. À la limite, si on avait une bonne vision de nos problèmes, on serait probablement déjà plus en mesure d’apporter les changements nécessaires.

Avec la collaboration de Rachel Del Fante

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*Nous avons accordé l'anonymat à Virginie pour protéger sa vie privée

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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