La littérature sentimentale gagne les cœurs au Québec
Les ventes de romans d'amour ont bondi de 53,3 % en un an, selon le dernier bilan Gaspard du marché du livre.
La popularité de la littérature sentimentale est en croissance.
Photo : Getty Images / iStock / KseniaBazarova
« Ça, c'est tous mes livres d'amour. Je les ai classés par auteur! » Sarah Corbin-Garant, 21 ans, présente avec fierté la bibliothèque qu'elle a aménagée dans sa maison de la Rive-Sud de Montréal.
L'étudiante en littérature est une véritable passionnée de lecture, comme en témoigne la centaine de livres alignés sur les étagères. Son genre coup de cœur? Les romans d'amour.
Les histoires d'amour, ça permet de vivre des relations irréalistes que je ne pense pas que je pourrais vivre dans la vraie vie
, mentionne-t-elle, visiblement ravie de parler de sa passion. En tant que femme, surtout, je ne pense pas que je pourrais m'abandonner à un homme autant que les personnages féminins le font dans les romans que je lis.
Sarah Corbin-Garant est une passionnée de littérature : elle alimente même un compte Instagram consacré à ses lectures.
Photo : Radio-Canada / Violette Cantin
Elle est loin d'être la seule adepte de ce genre littéraire. Près de 200 000 exemplaires de romans d'amour ont été vendus au Québec l'année dernière, une hausse de 53,3 % par rapport à l'année précédente.
Ces données proviennent du plus récent bilan Gaspard du marché du livre, qui inclut les librairies indépendantes, Costco et Indigo, mais qui ne tient pas compte des ventes réalisées sous d'autres grandes bannières, comme Renaud-Bray, Archambault ou Walmart.
TikTok, le roi des coeurs?
Sarah Corbin-Garant le dévoile d'emblée : elle a acheté tous
ses livres après les avoir découverts sur TikTok.
Il y a une heure encore, j'enregistrais des vidéos sur TikTok qui parlaient de livres que j'ai envie de lire. C'est beau, ce côté-là de TikTok, parce que ça permet à des jeunes auteurs qui n'ont pas nécessairement d'agence de se faire connaître.
Le mot-clic Booktok
cumule plus de 100 milliards de vues sur la plateforme, selon TikTok. Il a fait exploser la popularité d'autrices américaines de romans d'amour au cours des dernières années, comme Colleen Hoover ou Emily Henry.
Ce qui est intéressant, c'est de voir que des titres qui ne sont pas toujours des nouveautés peuvent être mis en avant par des influenceurs, ainsi que des auteurs moins connus
, affirme la directrice des communications et des partenariats chez Renaud-Bray, Floriane Claveau. Les titres anglophones prennent aussi beaucoup de place.
La chaîne Renaud-Bray et Les Libraires ont même ajouté, sur leurs sites web, des sections consacrées aux livres populaires sur TikTok.
Cette page du site web de Renaud-Bray est consacrée aux livres prisés des tiktokeurs.
Photo : Radio-Canada / Capture d'écran du site de Renaud-Bray
Un engouement international
La popularité des romans d'amour sur les réseaux sociaux, particulièrement auprès d'un public composé de jeunes femmes, n'étonne pas la professeure de littérature à l'Université de Sherbrooke et directrice du Groupe de recherche et d'études sur le livre au Québec, Marie-Pier Luneau.
Il faut comprendre que le roman sentimental a une très longue histoire, mais dans son histoire, il a toujours été boudé par ce qu'on appelle l'institution littéraire, explique-t-elle. Les romans sentimentaux ne vont pas recevoir de critiques dans les journaux, ils ne vont pas recevoir de prix littéraire, donc on n'en parle pas dans les canaux officiels.
La montée du numérique et des réseaux sociaux a permis la création d'une communauté parallèle qui fait la promotion de ces ouvrages.
Un phénomène inspiré notamment par les États-Unis : dans le top 10 des romans d'amour les plus vendus au Québec l'année dernière, les quatre premières positions sont occupées par des livres de l'Américaine Colleen Hoover.
Ce sont beaucoup des œuvres traduites qui ont connu des succès mondiaux, ajoute Mme Luneau. Et ce sont de gros éditeurs qui vont propulser ces œuvres-là. Ce n'est pas propre au Québec, la montée du sentimental.
Des livres qui évoluent
L'engouement pour la littérature sentimentale ne se limite toutefois pas aux jeunes femmes ou aux réseaux sociaux. L'écrivaine Amélie Dubois est la seule Québécoise dont un des livres figure dans le top 10 des romans d'amour les plus vendus au Québec l'année dernière.
Elle estime que son lectorat est surtout composé de femmes dans la quarantaine. Et elle n'est pas du tout présente sur TikTok. D'après elle, les livres dans lesquels l’amour occupe une place centrale ont le vent dans les voiles.
C'est une des quêtes les plus importantes au cœur de la vie de l'être humain. Je pense qu'on va toujours aimer ça, lire ça, croit Mme Dubois. On va toujours aimer voir des humains être amoureux. On va toujours aimer entendre de belles histoires d'amour.
L'étudiante Sarah Corbin-Garant abonde en ce sens, tout en gardant un regard critique sur sa passion. Elle croit que certains livres, surtout américains, présentent des relations romantiques qui ne sont pas égalitaires.
Il y a de plus en plus de jeunes femmes qui lisent des livres grâce à TikTok et à cause de TikTok. Si, dès un jeune âge, on se dit qu'il faut guérir les hommes, ce n'est pas bon. Selon moi, c'est cauchemardesque d'enseigner ça.
La professeure Marie-Pier Luneau note que la place des femmes dans les romans d'amour a tout de même évolué au fil des ans.
Dans les romans Harlequin des années 1980, la femme était encore plus dans une position vulnérable, souligne Mme Luneau. Aujourd’hui, elle reste toujours un peu en position de faiblesse par rapport à l'homme, mais l’écart est moins grand qu’il y a 40 ans.
Cette évolution réjouit Sarah Corbin-Garant. C'est la plus belle chose qui m'est arrivée dans ma vie, de découvrir la lecture, de commencer à lire. Ça m'a aidée à traverser des épreuves inimaginables. Et ça m'a aidée à devenir une femme. Sincèrement.
