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Le centre commercial qui refuse de se laisser mourir

Marchés de créateurs locaux, patins à roulettes et galeries d’art : les petits centres commerciaux tentent de séduire une toute nouvelle clientèle.

Un magasin fermé avec des produits à l'intérieur et un écriteau de vente finale dans la vitrine.

Plusieurs magasins ont l'air abandonnés par leurs propriétaires.

Photo : Radio-Canada / Mouaad EL YAAKABI

Franchir les portes du Chinatown Center, au centre-ville de Toronto, c’est faire un voyage à une époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.

Tout, du carrelage sur le sol au revêtement du plafond en passant par la décoration, rappelle les années 1980, cette époque où les centres commerciaux, symboles d’une société de consommation triomphante, connaissaient leur âge d’or.

Un petit tour du propriétaire vous rappelle à la réalité. La pandémie et le changement des habitudes de consommation sont passés par là et n’ont pas épargné les lieux. Il y flotte comme un air de fin de vie, avec plusieurs magasins laissés à l'abandon et des escaliers mobiles en panne.

Même les affiches de vente de baux qui bardent plusieurs devantures ont l’air décrépites.

Des rideaux fermés de magasins.

Plusieurs baux sont à céder dans le centre commercial.

Photo : Radio-Canada / Mouaad EL YAAKABI

En 2022, 17 fonds de commerce ont été mis aux enchères lors d'une procédure de recouvrement pour taxes foncières impayées.

Quand il a ouvert, dans les années 1980, le Chinatown Center était très populaire. Il y avait des files devant les restaurants, se désole Arlène Chan, libraire à la retraite, amoureuse du quartier et historienne reconnue.

Le Chinatown Center n’est pas un cas isolé. Dans la Ville Reine comme partout au Canada, des dizaines de centres commerciaux souffrent de l'essoufflement d’un modèle… et font l’objet d’une fascination.

Toute une mode des dead malls, ou centres commerciaux désaffectés, a essaimé, d’abord aux États-Unis, puis au pays.

Lorsque Aryeh Bookbinder a emmené des amis faire le tour de certains de ces centres commerciaux pour la première fois, ils se sont mis à pleurer d’émotion, et là, je me suis dit que j’avais mis le doigt sur quelque chose, raconte-t-il.

Depuis, il affrète un autobus scolaire une fois par mois afin d'y emmener des groupes de nostalgiques, âgés entre 30 et 40 ans, pour un voyage temporel dans ces endroits en voie d'extinction.

Un modèle à réimaginer

Les centres commerciaux ne sont plus des endroits où se tissent des liens humains : Dans ce monde où on sociabilise et magasine en ligne, ils ont perdu pratiquement toute leur valeur commerciale et toute leur valeur sociale, souligne Doug Stephens, spécialiste du commerce de détail et de la consommation.

Nous sommes vraiment tout près de ce qui pourrait devenir une minicrise financière dans le secteur de l'immobilier commercial.

Une citation de Doug Stephens, spécialiste du commerce de détail et de la consommation
Portrait de Doug Stephens.

Pour Doug Stephens, spécialiste du commerce de détail et de la consommation, une sélection naturelle s'opère parmi les centres commerciaux.

Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Doug Stephens

Il y aura une sorte de sélection naturelle : seuls les plus forts vont survivre, ceux qui ont suivi le rythme de l’évolution, fait valoir M. Stephens, qui est également auteur de plusieurs livres sur le sujet.

Pour voir ceux qui trônent au sommet de la chaîne alimentaire des centres commerciaux, il faut descendre l’avenue Spadina, sur laquelle est situé le Chinatown Center.

Le complexe The Well sous le soleil.

The Well est un complexe à usage mixte, incarnation d'un changement de paradigme dans le domaine des centres commerciaux.

Photo : Radio-Canada / Paul Borkwood/CBC

À quelques centaines de mètres à peine se dresse The Well, un nouveau venu pensé pour un usage mixte, aux dimensions vertigineuses :

  • 1,2 million de mètres carrés de bureaux;
  • 320 000 mètres carrés de commerces et de restaurants sur trois niveaux;
  • 1700 appartements répartis dans six immeubles.

À Etobicoke, en banlieue de la ville, un autre complexe, lui aussi à usage mixte, entrera bientôt en chantier, cette fois-ci sur l’emplacement de Cloverdale Mall, un centre commercial en fin de vie.

Rien qu’à Toronto, la Ville dit recenser 19 projets de revitalisation de ce type, ce qui fera augmenter l'offre de logements d’environ 68 000 unités résidentielles, selon ses services. La Municipalité a même créé un guide pour faire en sorte que les centres commerciaux s'intègrent parfaitement aux communautés environnantes.

Quatre milliards de dollars ont été dépensés au cours de la dernière décennie pour des travaux de rénovation et de modernisation des 30 centres commerciaux les plus importants du pays.

Une citation de Rapport de 2023 de la firme de conseil en immobilier commercial CBRE
Deux images de l'emplacement actuel et du futur centre commercial Cloverdale à usage mixte.

À gauche : la zone où se trouve le centre commercial Cloverdale. À droite : le projet qui verra le jour.

Photo : Radio-Canada / Images fournies par la Ville

Du commerce à la contre-culture

Cependant, que peut-on faire lorsqu’on n’a pas le soutien financier de promoteurs immobiliers? Pour réaliser ces changements, il faut un budget considérable, et cela désavantage certainement les indépendants, admet Doug Stephens, qui poursuit : Mais c'est aussi un état d'esprit : êtes-vous psychologiquement prêt à ouvrir la voie vers l'avenir?

L’avenir, Stacey Treloar le voit justement au Chinatown Center. Avec son associé, elle a ouvert un magasin de figurines inspirées de l’univers manga au mois d’août dernier, après des mois de recherches pour dénicher un local dans le secteur.

Les loyers sur Spadina et University tournent autour de 10 000 $ par mois pour le même local, dit-elle. À cela, il faut ajouter les frais de maintenance et les frais annexes, un coût que ces deux indépendants ne pouvaient pas assumer.

Je n'ai pas de trésor caché : nous avons d'autres emplois, nous travaillons tous les deux beaucoup et nous ne gagnons pas d'argent avec le magasin : c'est un truc de passionnés.

En s'installant dans ce centre commercial moribond, Stacey Treloar a divisé la note par cinq. Mais la jeune femme n’a pas été attirée que par le prix et a vu au-delà des allées désertes.

C'est mort en tant que centre commercial, mais comme espace communautaire, je pense qu'il y a beaucoup de dynamisme.

Une citation de Stacey Treloar

Depuis plusieurs mois, en effet, le vieux centre commercial endormi tente de se refaire une jeunesse.

Portrait de Stacey Treloar.

Stacey Treloar a ouvert son magasin il y a quelques mois et croit dans l'avenir du Chinatown Center.

Photo : Radio-Canada / Mouaad EL YAAKABI

Un marché de créateurs locaux y est organisé plusieurs fois par mois, des artistes ont loué des magasins pour en faire leur studio et une galerie d’art a ouvert ses portes au troisième étage.

Cet ancien temple de la consommation se mue en lieu de la contre-culture, où se retrouvent les laissés-pour-compte de la culture dominante. Des collectifs de DJ locaux y organisent des soirées dansantes, les créateurs y montent des défilés et des séances photo, une foire d’adoption de chiens s’y est tenue au début du mois de mars.

Quand les grandes franchises se retirent, les loyers baissent, et c'est alors une occasion en or pour les entreprises locales de s'installer, s’enthousiasme Aryeh Bookbinder, qui note que de cette façon, un certain type de commerces moins grand public, voire de niche comme celui de Stacey Treloar, voit alors le jour.

Attirer la génération Z, une nécessité

Des personnes font du patin à roulettes.

Avec Suso Skate, Henry O'Brien est contacté par des gestionnaires de centres commerciaux pour organiser des activités et pour générer de l'affluence.

Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Suso Skate Co.

Ailleurs aussi, on cherche la solution miracle à peu de frais.

Henry O'Brien aménage des aires de patin à roulettes éphémères dans les centres commerciaux. C’est gagnant-gagnant comme relation, explique le jeune homme : Au début, 99 % de nos réservations étaient faites en ligne, ce qui veut dire que les clients venaient essentiellement pour patiner. Une fois sur place, ils pouvaient manger dans l’aire de restauration ou magasiner.

Son carnet de commandes ne désemplit plus et sa petite entreprise dépassera les frontières de la région de Toronto au cours des prochains mois.

Les centres commerciaux cherchent désespérément la bonne formule pour attirer la génération Z à coups d’expérience en tout genre. Ils sont conditionnés à croire que c’est un divertissement parce qu'ils sont sur TikTok et Instagram, où il y a cette fusion incroyable du commerce et du divertissement, analyse Doug Stephens.

Pour lui, un changement de paradigme s’impose : c’est dorénavant aux centres commerciaux de devenir des marques et d'aimanter les clients.

C’est ce que Chinatown Center est en train de faire, à sa façon.

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