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Vaccins contre la COVID-19 et menstruations : pourquoi on a tardé à étudier les effets secondaires?

Plusieurs femmes ont soulevé des d’inquiétudes depuis les débuts de la vaccination contre le coronavirus.
On a entendu dès le début des grandes campagnes de vaccination contre la COVID-19 des milliers de femmes – des femmes menstruées, d'autres ménopausées, mais aussi des hommes transgenres – partager leurs angoisses sur les réseaux sociaux : retards dans l'arrivée des règles, menstruations plus abondantes qu'à l'habitude, cycle décalé, douleurs et crampes plus importantes. Est-ce que le vaccin contre la COVID-19 en serait responsable?

 Depuis que j’ai 11 ans, j’ai mes règles. Chaque mois. , confie Marie-Philippe. Après avoir reçu une première dose, plus aucun signe de ses règles pendant huit semaines. Même scénario pour la deuxième dose.  Je pensais que j’étais peut-être enceinte. J’ai dû faire des tests.  Même s’il s’agissait d’une fausse alerte, elle s’est tout de même demandé si ces fluctuations allaient un jour l’empêcher de concevoir un enfant.

Comme Marie-Philippe, plusieurs femmes ont soulevé ce genre d’inquiétudes depuis les débuts de la vaccination contre le coronavirus. Même si les mythes demeurent tenaces, de nombreuses études ont démontré que les vaccins offerts n'avaient pas d’impact sur la fertilité. On spécifie d’ailleurs que les femmes enceintes qui contractent la COVID-19 sans être vaccinées sont plus susceptibles d’être hospitalisées.

Pour Joanie, l’histoire est différente. C’est la réaction physiologique après sa seconde dose, plus forte que la première, qui l’a alertée.

 Je n’ai pas fait de lien immédiat [après le premier vaccin] , dit-elle.

Je saigne tout le temps. Il y a eu un mois où j’ai eu 18 jours de saignements. Je suis comme en syndrome prémenstruel tout le temps. Ça ne finit comme pas.

Une citation de – Joanie

 Chaque fois que je parlais du vaccin [à des professionnels de la santé], on me disait : “c’est sûr que c’est pas ça” , ajoute-t-elle.

 Le stress, c’est la seule option qu’on te donne. C’est tellement invalidant , s’exaspère Marie-Philippe.

C’est en tout cas le genre de réponses que des professionnels de la santé ont données à Marie-Philippe et Joanie pendant des semaines lors de différentes consultations.  On dirait que tout de suite, les médecins fermaient la porte , dit Joanie.

Effets secondaires

Pendant les campagnes de vaccination, les autorités sanitaires canadiennes ont fait valoir qu’il était important de signaler toute anomalie ou tout symptôme inhabituel après l’injection d’une dose.

À juste titre, une liste des effets secondaires dits  normaux , ceux considérés comme tels lors des phases d’étude clinique, a été rendue disponible sur les sites web respectifs des différentes organisations de santé publique, comme celui de Santé Canada (Nouvelle fenêtre) ou du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (Nouvelle fenêtre). Le même exercice a été fait pour souligner les possibles effets secondaires considérés comme  graves .

Le cycle menstruel n’est pas mentionné, puisqu’il n’a pas été étudié par les compagnies pharmaceutiques qui fournissaient les vaccins. C'est le cas de la plupart des essais cliniques, COVID-19 ou non.

Dans un document de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) dont Rad a obtenu copie, on constate qu’il y a eu au Québec 98 déclarations au sujet de perturbations du cycle menstruel jusqu’au 7 janvier 2022. Cela représente 1,43 déclaration pour 100 000 premières et deuxièmes doses administrées chez des femmes âgées de 12 ans et plus.

Selon les données non publiques fournies par Santé Canada, ce sont 708 déclarations d'anomalies du cycle menstruel ou de saignements utérins à la suite d'une vaccination qui ont été transmises en date du 18 mars 2022. Cela équivaut à 0,19 déclaration pour 100 000 premières, deuxièmes ou troisièmes doses administrées aux femmes âgées de 12 ans et plus.

La quantité de déclarations officielles enregistrées au pays est donc infiniment petite.

 Le système [de déclarations] est beaucoup basé sur les professionnels de la santé qui voient des patients , précise le médecin-épidémiologiste Gaston De Serres de l’INSPQ. Pour lui, c’est entre autres ce mécanisme, dont l’accès n’est  pas parfait , qui pourrait justifier le très faible taux de signalements.

Quand elle a voulu déclarer son absence de règles, Marie-Philippe ne s'est pas sentie écoutée. Elle croit que c'est une des raisons pour lesquelles les femmes sont réticentes à partager leurs inquiétudes sur la santé.

Et parmi la centaine de femmes qui nous ont écrit dans le cadre de ce dossier, plusieurs nous ont mentionné ne pas avoir été en mesure de déclarer leurs symptômes liés aux menstruations.  Un parcours du combattant , selon quelques-unes : la ligne téléphonique d'Info-Santé orientait les personnes vers l'INSPQ, et l'INSPQ les dirigeait vers leur médecin.

Par ailleurs, Gaston De Serres est persuadé que les déclarations liées aux vaccins contre la COVID-19 présentent quelque chose de nouveau. La nuance essentielle pour le chercheur réside dans les fluctuations anormales du cycle et la gravité des symptômes qui se sont manifestés après l’une ou chacune des doses reçues.

 Les problèmes liés à des irrégularités menstruelles [marquées], en tout cas, pour moi, c'est quelque chose que je n'avais pas vu avec d'autres vaccins. 

Une citation de – Gaston De Serres, médecin-épidémiologiste à l’INSPQ


Pourtant, on constate qu'une étude datant de 1913 associait des irrégularités menstruelles au vaccin contre la typhoïde. Les effets relevés s'apparentaient à ceux déplorés par les femmes à la suite du vaccin de la COVID-19. Ce fut également le cas dans des recherches liées à l'hépatite B.

En attendant d’obtenir d’autres réponses, le Dr De Serres estime toutefois que les autorités régulatoires de santé publique, comme Santé Canada, devraient mieux communiquer et expliquer les possibles fluctuations du cycle menstruel des femmes à la suite d’un vaccin.

 S'il y a des études qui sont menées non pas par [une] compagnie [pharmaceutique], mais par des chercheurs indépendants, [Santé Canada pourrait] dire : “nous, on veut que vous écriviez ça dans la monographie [du produit]” , soutient-il.

Les réactions du cycle menstruel – avec contraception ou non – à un vaccin sont particulièrement difficiles à identifier. La science sait que le cycle est grandement sensible à une foule de facteurs comme l’environnement, les émotions vécues, les hormones.

 Les hormones ont un rôle à jouer dans la réponse immunitaire et la réponse en termes d'effets secondaires qu'on observe avec les vaccins [...] et il y a une réponse [aux vaccins] qui est différente chez les femmes , souligne Gaston De Serres.

Mais ce ne sont pas nécessairement toutes les personnes qui ont des règles qui le savent. Alors aurait-on pu mettre en lumière cette possibilité parmi les possibles réactions physiologiques lors de la vaccination de masse?

 Absolument , croit pour sa part la professeure d’endocrinologie à l’Université de la Colombie-Britannique et directrice scientifique du Centre de recherche sur le cycle menstruel et l’ovulation, Jerilynn C. Prior.

Le stress?

Très peu d'études se sont penchées sur un lien potentiel entre les vaccins contre la COVID et les menstruations.

En janvier dernier, une étude portée par la Dre Alison Edelman, professeure à l'Oregon Health and Science University, et publiée en janvier dernier dans la revue Obstetrics & Gynecology, a été menée sur près de 3960 femmes. Chacune devait surveiller la durée de son cycle menstruel et celle de ses menstruations et noter le tout sur une application mobile pendant un total de six cycles. Du nombre, 2400 recevaient un vaccin contre la COVID-19. Environ 55 % des femmes ont reçu le vaccin de Pfizer-BioNTech, 35 % ont obtenu celui de Moderna, et 7 % ont eu celui de Johnson & Johnson.

On y conclut que oui, le cycle menstruel pourrait effectivement être rallongé  d’au moins une journée en moyenne , pouvant être influencé par des  périodes de stress . Mais que ce serait un effet non grave  et considéré comme  temporaire .

Mais que veut-on réellement dire par  stress ? Est-ce le stress de la pandémie ou un stress généralisé?

 C’est important de savoir que la réponse de stress en soi, elle est essentielle! , affirme la chercheuse en neuroscience au Centre de recherche sur le stress humain (CRSH), Catherine Raymond.

 Le stress, au fond, c’est vraiment juste notre corps qui [active] un système biologique qui a une fonction : nous donner de l’énergie pour se prémunir contre une menace , ajoute-t-elle.

L’injection d’un vaccin engendre d’abord une réaction immunitaire qui, elle, active un système semblable chez l’homme et la femme : l’axe hypothalamo-pituito-surrénalien (HPS). C’est lui qui sécrète du cortisol, l’hormone du stress.

L’autre axe touché dans la réaction immunitaire, c’est l’axe hypothalamo-pituito-ovarien (ou gonadique, pour les hommes). C’est ici que la principale différence physiologique entre les deux sexes, le système hormonal des femmes, joue pour beaucoup.

En fonction du moment où une femme se trouve dans son cycle,  ça peut venir jouer sur la quantité d’hormones de stress qui va remonter au cerveau et affecter nos fonctions , précise Catherine Raymond.


Le cycle menstruel doit être plus étudié

Une des leçons que nous aurons à tirer de cette pandémie, croit la chercheuse en santé féminine Jerilynn C. Prior, c’est que la science et les femmes elles-mêmes devraient davantage porter attention au cycle menstruel.

 On a souvent l’impression que le cycle, c’est comme une machine : on appuie sur l’interrupteur et ça se passe. Le cycle s'adapte plutôt aux circonstances, [...] telles celles d’une pandémie , assure-t-elle.

 Mais en tant que femmes, on n’est pas portées à rapporter ce genre d’effets, parce qu’on banalise trop souvent ce qu’on vit, on nous dit de nous faire petites. Que nos inquiétudes sont futiles. 

Une citation de – Jerilynn C. Prior, directrice scientifique du Centre de recherche sur le cycle menstruel et l’ovulation


Plus d’un an après avoir soulevé leurs questionnements quant aux possibles effets du vaccin sur le cycle menstruel, plusieurs femmes continuent de s'interroger, peu convaincues des explications qu’elles ont reçues.

Plusieurs nous ont écrit qu’elles hésitaient à aller chercher leur deuxième ou troisième dose, alors que d’autres nous ont carrément affirmé qu’elles allaient refuser d’en avoir d’autres. Dans les deux cas, les effets les ont refroidies, surtout parce qu’elles n’ont pas été averties au préalable.

C’est notamment pour cette raison que la chercheuse Catherine Raymond croit qu’il est grand temps qu’on comprenne mieux le mécanisme qui relie le cycle hormonal et les vaccins, afin de mieux le vulgariser à la population.

Elle ajoute que le cycle menstruel des femmes revêt encore un certain tabou, ce qui expliquerait qu’il reçoive moins d’attention scientifique.

 C'était la même chose avec la dépression post-partum dans le temps. Aujourd'hui, on comprend les mécanismes derrière, mais auparavant, il y a plusieurs médecins qui donnaient comme explication : “c'est parce que tu reçois moins d'attention que quand tu étais enceinte”. On a étudié ces mécanismes biologiques, mais pour les étudier, il faut se poser la question et il faut qu’il y ait un intérêt au niveau sociétal , somme-t-elle.

Les experts à qui nous avons parlé s’entendent sur le fait que le cycle menstruel doit être plus étudié. Et il y a de l’espoir, malgré tout.

Gaston De Serres reconnaît les inquiétudes des femmes. Il tient à rassurer ces personnes qui hésitent ou qui évoquent des craintes quant à recevoir d’autres doses.  C'est toujours désagréable de vivre des problèmes de cette nature-là. Mais je pense que la COVID nous cause actuellement des problèmes sérieux, [notamment] avec ce qu’on commence à explorer [par rapport à] la COVID longue, où les gens traînent des problèmes de santé pendant des mois, pas des semaines  dit-il.

En attendant, il travaille sur la grande étude pancanadienne CANVAS-COVID, dont le pôle québécois est dirigé par son collègue Dr Louis Valiquette de l’Université de Sherbrooke, qui porte sur tous les effets secondaires du vaccin. Des femmes ayant vécu des désagréments liés au cycle menstruel, comme Joanie, ont été contactées par l’équipe de recherche.

 On m’a dit que j’étais loin d’être la seule dans cette situation , dit-elle.

« Ce sont des paroles qui m’ont fait énormément de bien, on dirait que pour la première fois depuis six mois, il y a un médecin qui me valide. Je ne suis pas toute seule. Et c’est vrai ce qui se passe. »

Une citation de – Joanie


À l’autre bout du pays, la Dre Jerrilyn C. Prior est en attente de publication d’une grande recherche qu’elle a menée dans les derniers mois afin de voir si la pandémie (et son lot de stress) a eu un effet sur le cycle hormonal des femmes.

Une sommité en matière de santé des femmes, la directrice scientifique de l'Institut de la santé des femmes et des hommes des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Dre Cara Tannenbaum, explique dans un autre reportage du dossier Gynéco (Nouvelle fenêtre) que ce n’est pas d’hier que les femmes se sentent invalidées quant à leurs tracas de santé.

Pendant un long moment, les femmes ont été totalement exclues de la science et de la pratique de la médecine, laissant au ban l’étude des maladies ou enjeux de santé spécifiquement féminins sous la loupe des hommes.

Mais nous sommes sur la bonne voie, croit la scientifique. Pour le vaccin anti-COVID, elle se demande :  est-ce qu'on aurait pu poser cette question au début, il y a deux ans, et ne pas attendre pendant deux ans pour répondre? 

 Plus il y aura de femmes à la tête d’équipes de recherche, plus on posera les bonnes questions , conclut-elle.


Pour déclarer tout effet secondaire à la suite du vaccin contre la Covid-19, il faut s’adresser à un professionnel de la santé qui devra remplir le Rapport d’une manifestation clinique grave ou inhabituelle après une vaccination au Québec (Nouvelle fenêtre) ou le Formulaire de rapport des effets secondaires suivant l'immunisation de Santé Canada. (Nouvelle fenêtre)

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