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Une voiture coiffée de caméras et d'autres appareils.
Envoyé spécial

Nous avons testé les robotaxis de San Francisco

En service depuis bientôt un an dans les rues de San Francisco, les taxis sans conducteur suscitent de l'étonnement et de l'engouement, mais aussi de l'inquiétude et des critiques.

L’expérience est déstabilisante. À la fois étrangement familière et déroutante.

Dans les rues de San Francisco, on commande un robotaxi aussi simplement qu’on réserve un Uber, à l’aide d’une application sur son téléphone.

Comme le fait l’application d’un service de taxi régulier, celle du robotaxi indique le temps d’attente nécessaire, et affiche la position du véhicule approchant sur une carte.

Jusque-là, rien d’anormal. C’est lorsque la voiture autonome arrive que commence le scénario de science-fiction.

Good afternoon, Jean-François. Le nom de l’usager affiché sur un écran assorti d’un message vocal synthétique ne détourne pas l’attention de l’essentiel : le siège du conducteur est vacant.

L'intérieur du robotaxi.

Difficile de s’habituer au spectacle du volant qui tourne tout seul et du siège de conducteur vacant.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Une fois la ceinture bouclée, le véhicule se met en route et affiche le temps restant jusqu’à la destination. Il est alors possible de choisir l’environnement musical souhaité et de vaquer à ses occupations.

Mais pour le nouvel usager, il est difficile de détacher le regard du spectacle quasi hypnotique qu’offre l’ordinateur aux commandes.

Le volant tourne tout seul. La voiture s’engage résolument dans un carrefour après avoir actionné le clignotant et vérifié que la voie était libre. Elle ralentit et s’arrête aux feux rouges, se déroute à la vue d’un cycliste, d’un piéton ou d’un véhicule de livraison stationné en double file.

La prestation bluffante du cyberpilote et la capacité de la machine à imiter le comportement d’un humain font vite oublier ce qui pourrait être autrement angoissant : on est le passager impuissant d’un véhicule sans conducteur.

Le reportage de Jean-François Bélanger présenté au Téléjournal

En phase de test depuis des années, les services de taxi sans conducteur Waymo, propriété d’Alphabet – la maison mère de Google –, et Cruise, filiale de General Motors (GM), ont eu l’autorisation de commercialiser leur service dans les rues de San Francisco en août dernier.

Métropole mondiale de l’innovation, berceau de l’intelligence artificielle : c’est sans surprise que cette ville a été choisie pour le déploiement à grande échelle de cette fascinante technologie.

San Francisco représente pourtant tout un défi. Avec ses montées escarpées, ses carrefours sans visibilité et ses rues en lacet à flanc de colline – comme la fameuse rue Lombard, heureusement à sens unique.

La rue Lombard, très sinueuse.

La rue Lombard a été dotée de ces huit virages très serrés dans les années 1920 parce que sa pente de 27 % était trop abrupte pour la plupart des véhicules de l'époque.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Testées depuis 2009, les voitures de Waymo, des Jaguar bardées de capteurs en tout genre (ultrasons, caméras, radars, lidars…) font depuis longtemps partie du paysage.

À tel point qu’elles sont devenues un point d’intérêt au même titre que le Golden Gate et les Painted Ladies d’Alamo Square pour les touristes.

Une rangée de sept maisons dans une pente.

Les Painted Ladies sont sept maisons colorées de style victorien situées en face d’Alamo Square.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Dès leur commercialisation, elles ont été rapidement adoptées par une population friande de nouvelles technologies.

À un carrefour du quartier Mission District, Edwin Carrillo descend de voiture le sourire aux lèvres après avoir testé le service pour la première fois.

Je conduis une Tesla au quotidien, alors j’étais familier avec le concept de voiture autonome, mais ceci est totalement différent! On est passager et il n’y a personne devant. C’est très bizarre.

Un peu appréhensif au départ, il s’est rapidement senti en confiance et en sécurité, dit-il.

Des robotaxis stationnés.

Waymo, propriété d’Alphabet, a déployé 250 robotaxis à San Francisco.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Sa compagne de route, Claudia Novoa, elle, est une habituée. Contrairement aux chauffeurs d'Uber, ils sont fiables et n’annulent jamais la course.

Mais le principal atout, selon elle, c’est le silence.

Honnêtement, ce que j’aime, ce sont les interactions limitées. Quand on est fatigué, on n’a pas envie de socialiser avec un chauffeur qui veut parler. C’est un des avantages. Je sais que c’est bizarre à dire, mais c’est vrai.

Une citation de Claudia Novoa, utilisatrice de Waymo
Un robotaxi s'éloigne.

Comme Google, Waymo est une filiale d'Alphabet.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Sans surprise, les chauffeurs de taxi sont très critiques.

Premier de la queue, au volant d’un taxi rouge devant le terminal maritime du Pier 41, Abraham Barzed reconnaît être très inquiet. Cela nous prive de notre revenu. Moi, j’ai des enfants à nourrir. S’ils mettent des robotaxis dans toutes les villes, les chauffeurs de taxi ne vont pas survivre.

Tom, qui conduit son taxi jaune à San Francisco depuis 20 ans, ne mâche pas ses mots. Bien sûr que je ne les aime pas. Ils me volent mon boulot.

Le bonnet de laine vissé sur la tête et les mains bien enfoncées dans des gants de cuir aux doigts coupés, le vieux routier ne cache pas son mépris pour cette technologie et ses usagers.

Mais qui invente ce genre de trucs? Quel est le but d’inventer ça? Une voiture sans conducteur? C’est quoi, ça? Est-ce que c’est pour des gens qui veulent éviter tout contact humain pour le reste de leur vie?

Une citation de Tom, chauffeur de taxi à San Francisco
Plan panoramique de San Francisco.

San Francisco est considérée comme la métropole mondiale de l’innovation et le berceau de l’intelligence artificielle.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Des dizaines d'incidents

Les pompiers aussi ont des réserves. À commencer par Darius Luttropp, le chef adjoint des opérations. Et pour cause. Les incidents se multiplient.

Le service des incendies de San Francisco a mis en place une procédure pour recenser les problèmes, explique-t-il. On a commencé à collecter l’information en mai dernier et nous en sommes déjà à 90 événements d’interactions malheureuses entre nos camions et des véhicules autonomes.

Beaucoup de ces incidents sont d’importance mineure; certains sont même amusants. Ce qui est le plus drôle, dit-il, c’est lorsque les véhicules ont un problème de communication et qu’ils se retrouvent tous bloqués au même endroit au milieu de la route.

Les réseaux sociaux regorgent de petites vidéos illustrant parfaitement ce phénomène.

Mais d’autres cas sont plus problématiques. Comme lorsque des robotaxis bloquent le passage de camions de pompiers ou qu’ils entrent carrément en collision avec eux. Une situation qui a poussé le service des incendies à porter plainte.

Portrait de Darius Luttropp devant un camion de pompier.

Darius Luttropp est le chef adjoint des opérations du service des incendies de San Francisco.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Mes pompiers en ont vu d’autres. Ils sont assez imperturbables. Alors, quand ils se plaignent du comportement des voitures autonomes, je dois les prendre au sérieux.

Une citation de Darius Luttropp, chef adjoint des opérations, service des incendies de San Francisco

Le pompier précise qu’il n’est pas du tout technophobe. Au contraire. Il assure être fasciné par la progression rapide de cette technologie.

Mais il insiste sur la nécessité de l’implanter de façon responsable pour s’assurer d’en limiter les impacts négatifs.

La difficulté de communiquer avec une voiture sans conducteur est selon lui au cœur des problèmes.

Avec un conducteur normal, on peut l’avertir avec une sirène et lui donner des instructions au moyen de haut-parleurs. Avec un robotaxi, on doit appeler la compagnie, parler à un agent pour lui demander d’intervenir à distance auprès de la voiture pour lui donner une instruction et espérer qu’elle l’exécute, fait valoir M. Luttropp.

Autre souci, la loi en Californie ne permet de verbaliser qu’un conducteur humain, pas une voiture. Une carence légale dont ont tiré parti les opérateurs de robotaxis, mais qui instaure de fait un double standard.

Si je dois faire bouger de force quelqu’un qui obstrue la voie, je peux le menacer d’une contravention, faire intervenir la police, explique Darius Luttropp. Mais on ne peut pas faire ça avec une voiture autonome.

Une voiture Cruise circule à côté d'un vélo.

La société Cruise, propriété de GM, a suspendu ses opérations après un accident impliquant un piéton.

Photo : Cruise LLC

S’ils impressionnent par leurs prouesses, les véhicules sans conducteur n’ont pas une feuille de route sans tache.

En février, une voiture de Waymo a accroché un cycliste, provoquant des blessures mineures.

Quatre mois plus tôt, en octobre, une voiture de la compagnie Cruise, propriété de GM, a heurté une piétonne qui venait d’être frappée par une autre voiture, la traînant sur une distance de six mètres. Les graves blessures occasionnées ont nécessité trois mois d’hospitalisation et ont mené Cruise à suspendre ses opérations, à remiser ses 400 robotaxis et à mettre à pied le quart de ses employés ainsi qu’une bonne partie des dirigeants.

La compagnie assure qu’elle a pour volonté d’apprendre de ces problèmes et de remettre progressivement ses voitures en service dans les meilleures conditions de sécurité possibles.

Un tramway semblant dater d'il y a 150 ans.

Un des tramways à traction par câble, emblématiques de San Francisco.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Certains résidents de San Francisco ne se gênent pas pour exprimer leur désaccord avec éclat.

Rassemblés au sein de l’association Safe Street Rebels, des militants ont entrepris d’immobiliser volontairement les robotaxis en plaçant des cônes de signalisation sur leur capot. D’autres ont même poussé la défiance jusqu’à incendier une voiture de Waymo en plein centre-ville de San Francisco, le 10 février dernier.

Les opérateurs Cruise et Waymo, ont décliné nos multiples demandes d'entrevue. Par voie de communiqué, ils affirment que leurs voitures ont couvert des millions de kilomètres sans problème et qu’elles sont plus sécuritaires que la plupart des conducteurs en chair et en os.

Des arguments qui semblent avoir convaincu les autorités de Californie, qui viennent d’autoriser la firme Waymo à étendre ses opérations aux autoroutes et à la ville de Los Angeles.

Et en ce qui concerne leur arrivée dans une ville près de chez vous, ce n’est probablement qu’une question de temps.

Plan panoramique du pont.

Le Golden Gate, pont emblématique de San Francisco.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

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