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Démystifier l’ONU, un « espace incroyable pour apprendre et désapprendre »

Morses Caoagas Flores, du peuple ibanag aux Philippines, accompagne des Autochtones dans leur apprentissage du droit international et des mécanismes onusiens afin que leurs revendications fassent mouche et qu'ils deviennent des leaders bien formés.

Un homme avec le logo de l'ONU.

Morses Caoagas Flores travaille depuis 2005 pour l'ONU.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Concentré, sans casque de traduction, Morses Caoagas Flores écoute Hindou Oumarou Ibrahim puis les intervenants suivants lors de la 23e session du Forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones. Sur son ordinateur, il note tout ce qui se dit dans la salle de conférence du grand immeuble de l’ONU à New York.

Environ 2000 personnes sont présentes à ce qu’il qualifie de plus grand rassemblement de peuples autochtones. Discret, il est pourtant l’un des artisans permettant à des Autochtones de prendre la parole devant les États, les instances onusiennes et les autres peuples autochtones.

Du peuple de la rivière à l’ONU

Quand on lui demande de se présenter, il sourit, et énumère les trois chapeaux qu’il porte : chargé de programme pour le bureau du Haut-Commissariat aux droits de la personne à la section des peuples autochtones et des minorités, coordonnateur du programme de bourses autochtone et responsable du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les Peuples Autochtones.

Mais surtout, précise l’homme de 46 ans, je suis une personne autochtone qui vient du nord des Philippines. Je suis Ibanag : "I" signifie personne et "Bannag", rivière; donc, je suis du peuple de la rivière.

Et le chemin parcouru jusqu’au siège de l’ONU près de l’East River le ramène dans ses pensées, car petit, il n’aurait jamais imaginé consacrer 20 ans aux questions des droits de la personne et des peuples autochtones sur la scène internationale.

Un homme descend un escalier mécanique.

L'Ibanag est très occupé. Il va et vient entre les différentes salles, entre l'écoute du forum et les caucus avec les boursiers.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Que représentaient les Nations unies dans son enfance? Il répond du tac au tac : Je ne savais même pas que l’ONU existait. Sa première exposition à l’ONU, comme il la nomme, est en 1994, lors du génocide au Rwanda. Dans sa communauté, il n’y a pas d’électricité et c’est au collège où il étudie qu’il a accès à la télévision. En couleur, précise-t-il.

La première chose que j’ai vue, c’est le génocide au Rwanda. J’étais choqué. Ils parlaient de l’ONU et des critiques de l’ONU. Je me suis demandé : "Qu’est-ce que l’ONU?" Je m’y suis intéressé et c’est ainsi que j’ai découvert l’ONU… et découvert que je voulais travailler pour les droits de la personne, explique-t-il.

À l’époque, précise-t-il, la plupart des peuples autochtones ne pouvaient pas venir à l’ONU en tant que peuples autochtones. Il fallait passer par le mécanisme des minorités.

Après beaucoup de pression, alors qu’il commençait à découvrir le système onusien, le forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones a finalement été créé en 2000.

Hindou Ouhmarou Ibrahim se tient au micro dans la grande salle de l'ONU.

La présidente de cette session, Hindou Ouhmarou Ibrahim, a livré un plaidoyer clair à l'attention des États et des organisations.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Cet espace permettant de se réunir, de partager les expériences, les problèmes communs, de renforcer la solidarité, c'est un moyen de combler un grand écart dans les relations entre les peuples autochtones et les gouvernements. L’écart est aussi grand que le vide que l’Ibanag montre entre ses deux mains.

Nous avions besoin d’un moyen de pression et l’instance permet ce moyen afin que les peuples autochtones et leur gouvernement puissent réellement s'asseoir ensemble et se regarder dans les yeux au même niveau.

Une citation de Morses Caoagas Flores

Selon lui, il est beaucoup plus facile de traiter avec son gouvernement en dehors de son pays. Aux Philippines, par exemple, il faut suivre un protocole complexe pour rencontrer un ministre. Ici, vous êtes assis dans la même pièce.

L’Instance permet aussi aux peuples autochtones de découvrir que, dans la majorité des cas, ils partagent les mêmes enjeux, même si des spécificités existent. Elle permet aussi de lever le voile sur des problèmes méconnus.

Morses Caoagas Flores se souvient d’avoir été très choqué quand il a appris les cas de disparitions et d’assassinats de femmes autochtones au Canada. Nous avions de tels cas dans d’autres régions du monde, mais d’entendre cela, considérant le Canada comme un pays modèle à bien des égards, notamment en matière de droits de la personne, c’est assez choquant!

En résumé, le forum est un endroit incroyable pour apprendre et désapprendre!

Une citation de Morses Caoagas Flores

Toutes les voix entendues?

Pour pouvoir se faire entendre, encore faut-il pouvoir se rendre à ce forum. C’est très difficile logistiquement, substantiellement et administrativement, résume-t-il.

D’abord, il faut pouvoir avoir un visa pour entrer aux États-Unis. Près de 90 % des bénéficiaires du Fonds de contributions volontaires des Nations unies, qui offre un soutien financier sous la forme de subventions pour aider les représentants des communautés et organisations autochtones à participer aux mécanismes onusiens, auraient besoin d’un visa. Leur plus grand défi est même d’avoir un rendez-vous pour l’obtenir, explique-t-il, à cause des arriérés de demandes découlant de la pandémie.

Dans son programme de bourses autochtones cette année, une seule personne sur les 32 sélectionnées n’a pas pu obtenir de visa. L’an dernier, six n’ont pas pu venir, ils venaient tous d’Afrique. Nous n’avions pas un seul boursier d’Afrique l’an dernier, c’est triste!

Ensuite, il faut avoir les ressources financières et New York n’est pas la ville la moins chère du monde, rappelle-t-il. Certains doivent payer leur logement d’avance, ce qui coûterait entre 2000 et 3000 dollars. Or, c’est le salaire annuel de certaines personnes. C’est impossible!

Une carte de crédit est nécessaire, mais tout le monde n’en détient pas une. Je viens donc au secours de personnes presque tous les jours parce qu’elles ne peuvent payer que sur une base journalière et c’est le plus gros mal de tête que j’ai depuis mon arrivée!

Un panneau avec l'inscription Indigenous press.

Pour Morses Caoagas Flores, il faut informer le monde entier de ce qu'il se passe. Il explique aux boursiers comment parler aux médias. Il est conscient aussi de la barrière de la langue dans les instances onusiennes.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

De plus, la langue est un défi de taille. L’ONU a six langues officielles et les interprètes sont disponibles pour les réunions officielles, mais pas pour les nombreux événements parallèles qui sont très courus par les participants. Sans compter que s’y retrouver dans la bâtisse de l’ONU comme dans New York n’est pas aisé. Un vrai labyrinthe.

Enfin, la technicité du fonctionnement reste un défi. Il faut avoir une certaine compréhension des droits de la personne, du mécanisme de l’ONU, des prises de décisions.

Apprendre pour parler sur le même pied d’égalité

Parfois je pleure, parce que j’espère que le monde écoute, raconte-t-il. Pour être honnêtes, nous n’avons pas besoin d’aller à Genève, à New York, on devrait pouvoir plaider depuis notre maison. Pourquoi devons-nous venir ici pour en parler? puis il enchaîne : Mais le monde fonctionne ainsi et nous devons le suivre, sinon il bougera sans nous.

Alors Morses s’est donné pour mission de former la prochaine génération de leaders, de leur donner les clés de la diplomatie et de la politique internationale pour avancer comme tout le monde et s’assurer d’être sur un pied d’égalité.

Afin de favoriser cela, chaque année, une trentaine d’Autochtones du monde entier sont sélectionnés comme boursiers du programme de formation aux droits de la personne, créé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Depuis son lancement en 1997, plus de 300 Autochtones y ont participé, dont Morses en 2005.

Clarisse Taulewali Da Silva pose avec deux traits orangés sur les joues et des graines rouges et noires en boucles d'oreille.

À 24 ans, Clarisse Taulewali Da Silva du peuple Kali’na Tileweyu bénéficie d'une bourse du Fonds de contributions volontaires des Nations unies afin de défendre les droits des peuples autochtones guyanais.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Clarisse Taulewali Da Silva, présidente de la Jeunesse autochtone de Guyane, est l’une des bénéficiaires cette année. À l’entrée du bâtiment des Nations unies, non loin de la statue de Nelson Mandela, elle salue une personne, interpelle une autre et regarde le défilé de personnes qui passent. Si elle a déjà participé au mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones à Genève en juillet 2023, c’est sa première fois à ce forum.

C’est un peu une safe place [un espace sécuritaire] parce qu’il y a plein de représentants de peuples autochtones. Du coup, une connexion est déjà faite. C’est très actif, réconfortant! lance celle qui appartient au peuple Kali’na Tileweyu en Guyane française.

Armée de sa formation à Genève, où elle a notamment appris le droit international et le mécanisme onusien, elle est venue défendre les droits de la jeunesse autochtone des six nations de Guyane. Lors de ses trois prises de parole, elle a notamment parlé de l’impact du changement climatique en Guyane, dénoncé l’inaction du gouvernement français pour l'empoisonnement au mercure à cause de l’orpaillage illégal, mais aussi dans le dossier des pensionnats pour Autochtones.

Elle a demandé aux membres du forum permanent de faire pression sur la France pour la création d’une commission Vérité et réconciliation pour les huit homes indiens, ces pensionnats pour Autochtones. Entre 1930 et 2023, plus de 2000 enfants autochtones y ont été envoyés de force.

Ils y ont tous baigné dans le même système d’assimilation, de francisation, d’évangélisation, de diabolisation de leurs cultures et de leurs langues, de maltraitance alimentaire, de violences physiques et morales, voire sexuelles, souligne la jeune femme.

Une femme au micro entourée de personnes dans leurs tenues traditionnelles.

Clarisse fait sa déclaration à propos des homes Indiens, soutenue par plusieurs Autochtones de différentes îles françaises.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Morses regarde de loin Clarisse derrière son micro. Il rêve que bientôt cette relève soit à sa place. Si on est capables de le faire, nous aurons apporté une contribution. Si nous ne sommes pas en mesure de former la relève, nous les abandonnons.

D'autant qu’il est bien conscient que si dans certaines régions du monde des progrès ont été constatés pour les peuples autochtones, avec notamment leur reconnaissance par les gouvernements, dans d’autres, il y a recul, aggravation de la situation.

Des personnes regardent deux écrans géants

Les intervenants, comme Clarisse, ont trois minutes pour expliquer leur revendication et faire des recommandations.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

À New York, il a bien l'espoir que la plupart des voix des Autochtones seront entendues, mais Morses ne se fait pas d’illusion. L’un des aspects les plus difficiles du fait d’être à l’ONU est d’être visible, mais il existe un risque de représailles.

L’enjeu de la sécurité en prenant la parole au forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones sera l’objet d’un second article.

Plus de 476 millions de personnes autochtones vivent dans 90 pays du monde, ce qui représente 6,2 % de la population mondiale.

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