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Les femmes mohawks, inspiratrices méconnues du féminisme occidental

Des femmes, de dos, portant des drapeaux sur les épaules, lors d'une manifestation à Montréal en 2016.

Le statut des femmes au sein de la société Mohawk a influencé les pionnières du féminisme en Amérique du Nord. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / Josie Desmarais

L’histoire le chuchote à peine : le modèle de société matriarcale mohawk a inspiré les premières féministes blanches. C'est entre autres à leur contact qu'elles ont réalisé toutes les privations que leur imposait la société patriarcale occidentale.

Jamais la justice n'a été plus parfaite, jamais la civilisation n'a été plus élevée.

C'est dans ces termes que Matilda Joslyn Gage, féministe engagée du milieu du 19e siècle, décrit la Confédération iroquoise.

Elle savait que les femmes mohawks avaient le contrôle sur leur corps, qu'elles avaient des responsabilités durant les cérémonies, une voix politique. Tout ce dont rêverait toute femme occidentale, détaille Sally Roesch Wagner, professeure adjointe à l’Université de Syracuse et autrice de We Want Equal Rights : The Haudenosaunee (Iroquois) Influence on the Women's Rights Movement.

Une statue dans Central park, à New York, montrant trois femmes qui ont agi pour défendre les droits des femmes.

Au milieu du 19e siècle, des femmes blanches ont réalisé la place qu'avaient les femmes dans la société mohawk et elles s'en sont inspirées pour demander des droits. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / wdstock

Quand un homme se mariait, il partait chez sa femme, parce que leurs enfants appartenaient au clan de la femme [et pas de l’homme], ajoute-t-elle encore.

L’homme n’avait pas le droit à l’erreur! S’il faisait quelque chose d’inapproprié, il sortait de la maison longue avec toutes ses affaires. C’était une forme de divorce.

Une citation de Sally Roesch Wagner, autrice et professeure adjointe à l’Université de Syracuse

La dimension sacrée conférée aux femmes dans la société mohawk rend le viol ou la violence à leur égard presque impossibles.

Les femmes haudenosaunee contrôlaient aussi l'économie de leur nation en étant responsables des cultures et de la distribution de la nourriture. Elles avaient l'autorité finale sur les transferts de terres et les décisions concernant l'engagement dans la guerre.

Sally Roesch Wagner.

Sally Roesch Wagner a longuement travaillé sur les suffragettes implantées dans l'État de New York.

Photo : Alice G Patterson Photography / Alice G Patterson

Encore aujourd’hui, dans la culture traditionnelle mohawk, les femmes sont cheffes des clans, nomment les grands chefs et sont les yeux et les oreilles de la communauté.

Sally Roesch Wagner considère même que la Confédération iroquoise est l’une des plus anciennes démocraties.

La féministe Matilda Joslyn Gage décrivait la structure sociale et juridique des Haudenosaunee, dans laquelle la division du pouvoir entre les sexes dans cette république indienne était presque égale.

Les relations femmes-hommes étaient donc très différentes entre ces deux mondes. Puisque, comme le rappelle l’autrice, les femmes blanches naissaient dans un univers dans lequel on disait qu’elles étaient biologiquement, spirituellement et physiquement moins que les hommes.

Des femmes frappent sur un tambour et chantent lors d'un rassemblement.

Les femmes autochtones sont considérées comme aussi sacrées que la « terre mère » dans les cultures autochtones. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / SvetlanaSF

Le tout bien ancré dans la religion chrétienne et la Bible, qui, selon Mme Roesch Wagner, a clairement inspiré la common law et notamment les Commentaries on the Laws of England (aussi connu sous le nom de Blackstone code).

Ce texte stipule que la femme perdait son identité juridique lorsqu’elle se mariait. Elle n’avait aucune voix, aucun droit sur son corps, sur ses enfants, et était sous le contrôle total de son mari.

Les femmes pensaient que [ces conditions de vie] étaient normales, jusqu’à ce qu’elles découvrent la société mohawk qui est diamétralement opposée. Cela a soulevé des questions concernant tous les domaines de leur vie, fait valoir encore Mme Roesch Wagner.

Aller en territoire mohawk, c’était comme aller dans un monde utopique pour elles.

Une citation de Sally Roesch Wagner, autrice et professeure adjointe à l’Université de Syracuse

Le mouvement féministe actuel commence seulement à émerger aux États-Unis dans les années 1850 avec la conscientisation que le modèle patriarcal peut être remis en cause.

Ce n’est pas que politiquement que les femmes blanches envient les femmes mohawks, mais aussi au niveau de leurs vêtements. Elles portaient alors des corsets contraignant et étouffant leur taille, une crinoline, des talons hauts et autres accessoires qui bloquent la fluidité de leurs mouvements.

Un corset de soie avec des galons or et argent.

Ce corset de la fin du 18e siècle montre à quel point les vêtements des femmes de cette époque les restreignaient dans leurs mouvements. (Photo d'archives)

Photo : Melanie Talkington

En face d’elles, les Mohawks portent de larges et amples jupes et des mocassins bien plus confortables que leurs chaussures à talons.

L’ironie est qu’alors que les femmes blanches étaient inspirées par les Haudenosaunee, elles faisaient aussi partie de leur colonisation qui tentait de détruire cette même culture. C’était l’époque où les colons voulaient que les Autochtones pensent comme eux et disaient que tout ce qui venait d’eux était mauvais, ajoute la professeure.

Matilda Joslyn Gage et Elizabeth Cady Stanton, une autre féministe, abolitionniste et suffragette américaine, se sont intéressées aux sociétés matriarcales et matrilinéaires. Tout comme Sally Roesch Wagner, un siècle plus tard.

Des jeunes femmes manifestent avec des pancartes et un porte-voix.

Il est difficile, selon la professeure, pour les sociétés occidentales, de reconnaître l'apport des Mohawks dans le féminisme dont elles se réclament. (Photo d'archives)

Photo : Getty images/iStock / Rawpixel

Lorsqu’elle commence ses recherches sur le sujet, Mme Roesch Wagner se sent très seule. J’étais professeure en études féministes dans les années 1970-1980, j’ai fait cette connexion [entre la société mohawk et le féminisme moderne, NDLR]. Je pensais que j’étais folle. Il n’y avait aucune littérature sur le sujet, se souvient-elle.

Elle l’explique très simplement : Ce qu’on sait des Autochtones a été réduit à néant pendant longtemps. Ce n’est pas surprenant que [l’apport des femmes mohawks dans le féminisme actuel, NDLR] n’était pas connu. Ça fait partie de cette réduction au silence [dont elles ont été victimes].

Au début de ses recherches, elle avoue s’être heurtée à beaucoup de résistance de la part de ses confrères, qui ne voulaient pas croire à l'influence des Mohawks sur le mouvement féministe.

Quand j’ai commencé ce travail, un collègue a dit : "Personne ne doit porter attention à ce que Wagner dit".

On a un tel sens de notre soi-disant exceptionnalisme! Et tout ce qui est montré comme possiblement meilleur [que notre modèle occidental] met en danger notre ego culturel. Je suis très contente d’en parler à des journalistes aujourd’hui, vous permettez de faire connaître cette histoire dans la culture populaire.

Une citation de Sally Roesch Wagner , autrice et professeure

La professeure rappelle que la condition des femmes et celle de la terre mère sont profondément liées dans les cultures autochtones.

Comme je le comprends, on ne plaisante pas avec la terre mère, qui est vue comme la créatrice sacrée de la vie, au même titre que les femmes. Si on ne traite pas bien les femmes, si on ne traite pas bien la terre mère, on ne va pas survivre, dit-elle.

Sally Roesch Wagner souligne enfin que les suffragettes américaines ont regardé les femmes mohawks comme des modèles et je les vois toujours comme des modèles aujourd’hui.

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